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imposées par Balzac au roman. Et c’est ce qui explique l’universalité de son influence, telle qu’on vient d’essayer de la décrire, si l’on pourrait ici la caractériser en disant qu’en même temps qu’il donnait à l’art, pour objet unique, « la représentation de la réalité, » en même temps il créait, pour atteindre et remplir cet objet, « un mode de la représentation de la réalité. »


V

Il n’est pas vrai que la beauté parfaite soit « comme l’eau pure, » laquelle, à ce que l’on prétend, « n’aurait pas de saveur particulière ; » et, il faut avouer qu’au contraire, dans l’histoire d’aucune littérature, le plus grand écrivain n’est celui qui a le moins de défauts. On ne s’étonnera donc pas qu’au début de ce dernier chapitre, où nous voudrions résumer l’œuvre de Balzac, — et lui faire à lui-même sa place, telle que nous croyons la voir, non seulement dans la littérature du XIXe siècle, mais dans l’histoire générale de la littérature française, — nous en signalions les imperfections, et que, sans vouloir lui en faire un reproche, mais en simple observateur, nous disions d’abord de cette œuvre qu’elle est singulièrement « inégale » et « disproportionnée. »

Elle est « disproportionnée, » si la représentation qu’elle nous offre de la vie est manifestement incomplète ; et, par exemple, si trois récits en tout sur une centaine d’ouvrages : le Médecin de campagne, le Curé de village et les Paysans, consacrés à la « vie de campagne, » n’expriment certes pas l’importance relative, même à l’heure qu’il est, de nos populations rurales, dans la structure et dans le fonctionnement organique de notre société française. Ils sont tous les trois au nombre des plus beaux de Balzac, mais ils sont insuffisans. On ne voit pas non plus, ou à peine, figurer l’artisan, dans la Comédie humaine, ni l’ouvrier de la grande industrie, qui n’était pas, à la vérité, très nombreux du temps de Balzac, entre 1830 et 1850, ni surtout caractérisé par des traits bien particuliers ; mais qui existait cependant ; et dont on aimerait que le génie de Balzac eût pressenti la prochaine importance, puisque George Sand, entre les mêmes années 1830 et 1850, l’a devinée. C’est un aspect de la question sociale qui semble avoir échappé à Balzac. Je ne trouve