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l’invasion. C’est donc un premier ferment qui, déposé, dès l’origine, dans l’esprit du poète, ne pouvait manquer d’y faire un travail lent et profond. Ce travail sera aidé par l’influence de la philosophie contemporaine. Lamartine nous en avertit dans un passage des Nouvelles confidences, intéressant et significatif par sa confusion même. « Une autre école philosophique, nous dit-il, se ranimait à côté de celle des philosophes sacrés : c’était celle du platonisme moderne, de cette révélation par la nature et par la raison que J.-J. Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Ballanche, Jouffroy, Kératry, Royer-Collard, Aimé Martin, avaient substituée peu à peu à ce matérialisme voisin de l’athéisme, crime, honte et désespoir de l’esprit humain. Les philosophes allemands et écossais l’avaient élevée sur les ailes de l’imagination du Nord jusqu’à la hauteur de la contemplation et du mystère. Un jeune homme nourri et comme enivré de ces révélations naturelles, orateur, écrivain politique, commençait à les révéler à la jeunesse : c’était M. Cousin. » Le néo-platonisme, à la mode dans la première moitié du XIXe siècle, avait d’abord pénétré la pensée de Lamartine empressé à saluer dans la philosophie de Platon une première et déjà resplendissante image du christianisme. En 1818, Virieu, étant à Munich, met son ami au courant des nouveautés de la philosophie allemande. Celui-ci, avec sa promptitude d’enthousiasme, va tout de suite aux extrêmes : « Il n’y a plus que cette nation qui pense. Toute l’Europe recule et ils avancent. Mais ils iront plus loin que nous n’avons été, parce qu’ils fondent tout sur un principe vrai et sublime : Dieu et l’infini. » Cette philosophie était celle d’Hegel, celle que Victor Cousin va faire connaître au public français, et qui est à l’origine de son éclectisme. Lamartine était donc préparé à goûter vivement l’œuvre de Cousin. L’éclectisme est aujourd’hui fort décrié. Si pourtant il fut, à l’heure où il se produisit, si favorablement accueilli, c’est sans doute qu’il répondait alors à un besoin de l’esprit français. En effet, de 1820 à 1850, comme M. Citoleux en fait spirituellement la remarque, il y eut comme une fièvre de conciliation parmi les penseurs. « La méthode hégélienne permettait mainte audace. Tous ne la reproduisaient pas avec l’exactitude de Proudhon. Mais le goût d’harmoniser les systèmes les plus différens se glissait même chez les théocrates. Ballanche concilie comme il peut le catholicisme et le progrès, l’autorité et la liberté. Bûchez fonde la religion du progrès, tout en restant catholique, et, tout en repoussant l’individualisme, ménage la liberté. La doctrine de Pierre Leroux est une doctrine de concentration. Il est panthéiste et maintient la personnalité de Dieu.