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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/466

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le même refus, souvent accompagné d’injures. Puis, ayant achevé le tour de toutes les maisons où il aurait pu exercer son métier, il s’était mis en quête de menues besognes, et avait passé des journées à attendre une occasion, au coin des rues. Et, chaque soir, il revenait, épuisé de fatigue et de découragement, dans la petite chambre close et empestée, où l’attendaient sa femme, à bout de forces, et ses quatre misérables enfans aux yeux creusés et agrandis par la faim. »

Voici deux jeunes gens, deux amis, qui s’épouvantent à la perspective des longues années qu’ils vont avoir à vivre. L’un avait été placé, encore tout enfant, dans une corderie : un jour, le mouvement d’une machine l’avait blessé au bras, de sorte qu’on l’avait renvoyé, avec une petite somme que son père avait dépensée pendant que le fils était à l’hôpital. Guéri, ses anciens patrons l’ont trouvé trop âgé pour un travail où ils ne veulent employer que des enfans ; et il y a plus d’un an que ce malheureux est forcé de chômer. Très adroit de ses mains, lui aussi, et passionnément laborieux, il rêverait de devenir ébéniste : mais son père n’a pas d’argent pour payer son apprentissage, ni même pour lui acheter les premiers outils. « Et le pauvre diable en est là, toujours doux, toujours patient, toujours propre et soigneux de sa personne, bien que ses souliers en morceaux lui tombent des pieds. » Son ami est un solide gaillard de vingt ans qui, pendant deux ans, a eu la chance d’être employé dans une ferme du Yorkshire. Il adorait son métier, et tout le monde, à la ferme, était enchanté de lui. Mais, en 1904, la saison fut si mauvaise que le fermier fit faillite : le jeune garçon se vit contraint de rentrer dans l’impitoyable geôle des rues de Londres. Il a quatre frères, tous en âge de travailler, comme lui, et tous sans travail. « Il vendrait volontiers la chemise qu’il porte sur le dos pour obtenir de nouveau de l’ouvrage à la campagne, ou pour pouvoir émigrer. Mais l’émigration, en Angleterre, n’est accessible qu’aux gens mariés ; et encore pour ceux-là mêmes, est-elle rendue fort difficile. Un jeune homme non marié qui désirerait aujourd’hui aller s’établir au Canada rencontrerait autant d’obstacles, dans son projet, que s’il avait projeté de commettre un crime. »


Mais plus intéressante encore est la première partie du livre de M. Cope Cornford, où celui-ci, en une série de petits tableaux très variés et très émouvans, nous dépeint la vie intime des indigens de Londres, les logemens qu’ils habitent, la manière dont ils élèvent leurs enfans, et toutes les œuvres charitables qu’on ne cesse point de créer à leur intention, comme aussi l’extrême difficulté qu’il y a, pour