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tambour dans un temple bouddhique ; l’autre, un jeune homme dont je recevais la visite.

Il était entré chez moi aussi délibérément que chez lui et s’était ainsi présenté :

— Je suis un étudiant de Kagoshima, mais j’ai des parens à Hitoyoshi. On m’a dit que vous étiez descendu à cet hôtel : j’ai voulu vous voir et vous parler.

Je lui offris une tasse de thé et une cigarette : il refusa la cigarette et la tasse de thé, et me posa successivement les questions suivantes : « D’où venez-vous ? Où allez-vous ? Depuis combien de temps êtes-vous au Japon ? Êtes-vous missionnaire ? Prêchez-vous la Doctrine ? Quand retournerez-vous dans votre pays ? Quel est votre âge et votre profession ? » Ce naïf gaillard m’amusait ; je lui répondis brièvement, et j’allais l’interroger à mon tour quand il repartit : « Qu’avez-vous dans votre malle ? Combien avez-vous apporté de vêtemens ? Comment avez-vous obtenu votre passeport ? »

— Ah ça ! dis-je au Père Raguet, il commence à m’impatienter. Auriez-vous la bonté de lui demander s’il est de la police ?

— Mon ami, fit doucement le Père Raguet, êtes-vous de la police ?

— Non, répondit-il, je suis de Kagoshima.

Et, imperturbable, il recommença : « Êtes-vous riche ?…

— Mon ami, interrompit le Père Raguet, vous n’avez pas bien compris la question que Monsieur m’a prié de vous poser. Il voudrait savoir si vous êtes de la police, parce que seul un policier se permet d’interroger les gens comme vous le faites.

— Je vous ai dit, répliqua-t-il, que j’étais un étudiant de Kagoshima.

— Mais, mon ami, répondit encore plus doucement le Père Raguet, les étudians de Kagoshima ont-ils le droit de se montrer impolis envers les étrangers ?

Il attacha un instant ses yeux sur les nattes et reprit en se tournant vers moi :

— Puisque vous venez de France, vous pourriez peut-être m’apprendre quels sont les examens qu’on y passe.

— Ils sont innombrables, lui répondis-je, et vous auriez plus tôt fait de me citer les noms de tous vos Empereurs que moi de vous énumérer nos concours. La soirée n’y suffirait pas, et ce serait dommage de l’employer ainsi.