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morceau de son pain bis au Frère à la bague… Le 13 septembre, il arriva sur le soir un frère qu’aucun de nous ne connaissait pour être de la secte des Vaillantistes[1] ; aussitôt nous vîmes la sœur souffrir extraordinairement ; elle fit signe de faire venir le Frère à la bague parce qu’il ferait sortir ce frère. Le Frère à la bague arriva, parla fortement contre ce fanatisme, et le fit sortir. Nous vîmes sur-le-champ la sœur Gabrielle reprendre ses couleurs, sa tristesse s’évanouit, et elle passa dans un état de joie qu’il n’est pas possible de décrire… Les 20, 21 et 22, la sœur Gabrielle prit également la maladie du Frère à la bague ( ? )… Le 24 octobre, avant d’entrer dans son état de sommeil, elle mangea la moitié d’une lentille crue, et au coup de huit heures elle entra dans son sommeil, en présence des curés de Saint-Germain le Vieil, M. de Rochebouët, et de Sainte-Marine, M. Isoard, de l’abbé Boucher, conseiller de Grand’Chambre, de M. Arouet et autres ; elle fut gardée à vue dans son état de sommeil ; on se succédait les uns aux autres, et chacun rendit témoignage qu’elle n’avait pas changé de situation jusqu’au 28 à six heures du soir qu’elle sortit de cet état de mort en présence de M. l’abbé Boucher, de M. Arouet et autres. Elle a fait dire sur-le-champ un Te Deum et brûler un cierge devant l’image de la Sain te-Vierge… » Gabrielle Moler fut arrêtée le 30 octobre 1738, elle avait seize ans à peine ; elle demeura à la Bastille jusqu’au 17 décembre, puis on l’enferma dans « la prison flétrissante » de la Salpêtrière où on la traita avec la dernière rigueur sans pouvoir jamais l’affaiblir, et elle mourut dans sa prison le 29 mars 1748, à l’âge de vingt-six ans, et après neuf ans et demi de captivité[2]. Arouet ne l’abandonna pas dans sa détresse ; il la visitait fréquemment, elle et les autres convulsionnaires prisonnières, et il leur procurait tous les soulagemens qui étaient en son pouvoir. Ses petites amies avaient pour lui une véritable affection, mais elles se plaignaient de son inconstance et ne le regardaient pas comme un des plus fermes soutiens de l’œuvre. Un jour, une des sœurs de Gabrielle Moler, qui ne le connaissait pas et qui sortait de la Bastille, dit à ses parens en regardant M. Arouet : Celui-là est

  1. Détail curieux, qui fait songer à des discussions récentes, quand elle fut morte on la mit sur sa paillasse, et voici ce que disent les Relations du temps : « Le côté de sa tête et ses cheveux restèrent imprimés sur la toile. Les sœurs de l’Hôpital firent lessiver plusieurs fois cette toile sans que cette impression pût s’effacer.
  2. Détail curieux, qui fait songer à des discussions récentes, quand elle fut morte on la mit sur sa paillasse, et voici ce que disent les Relations du temps : « Le côté de sa tête et ses cheveux restèrent imprimés sur la toile. Les sœurs de l’Hôpital firent lessiver plusieurs fois cette toile sans que cette impression pût s’effacer.