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mis en goût par cette prouesse, il a un duel avec un autre officier qui avait tenu des propos dénigrans sur l’affaire de Lexington d’où les colons rebelles sont sortis vainqueurs. Selon l’absurde coutume anglaise de ce temps-là, les témoins se battent en même temps que les deux principaux adversaires. Hugh a vite fait de mettre son officier hors de combat, mais le malencontreux John, qui le suit pas à pas dans toutes ses fredaines, est grièvement blessé. N’importe, il en reviendra, et la réputation restera aux quakers dans l’armée britannique d’être plus forts au jeu du sabre qu’on n’aurait pu le supposer.

Quel émoi pour la jolie Darthea qui s’intéresse aux deux compagnons au point de ne pas savoir au juste duquel, de Hugh ou de John, elle est le plus près de s’éprendre ! Il est vrai que son cœur hésitant n’est pas insensible non plus aux perfides séductions du beau capitaine Wynn, le cousin tory. Un cœur de jeune fille, nous explique l’auteur indulgent, pousse comme ces petites vrilles naissantes de la vigne qui cherchent vaguement à s’attacher : il s’ensuit des avances et des réticences qui peuvent donner aisément prise à de fausses interprétations. Mais combien nous aurions tort d’appeler ces avances et ces réticences tout grossièrement en français de la coquetterie ! C’est l’excès d’innocence qui provoque les longues hésitations de Darthea. Certes les charmantes flirts américaines n’ont pas de meilleur ami que le docteur Weir Mitchell, et un ami éloquent, un ami persuasif, puisqu’il arrive, en ce cas, à nous faire partager ses idées, à nous rendre tous amoureux de sa capricieuse héroïne.

Elle nous amuse et nous ravit, chevauchant en croupe derrière Hugh Wynn, sous le petit masque de toile que portaient les dames d’alors pour garantir la pureté de leur teint, un bras passé autour de la taille du jeune homme qui abuse en la tutoyant de l’habitude des quakers et n’en est pas moins très intimidé par ses malices et ses taquineries. Elle nous plaît de même, assise dans le jardin auprès de l’autre quaker, blessé en duel, le joli quaker blond à figure rougissante de jeune fille, que les attentions et la compagnie de cette aimable créature réconcilient aisément tant avec sa blessure qu’avec son péché. Le capitaine Wynn, paré de son habit rouge et du prestige d’un mauvais sujet, serait bien près de l’emporter sur les deux Amis car, comme lui, Darthea est tory en politique, mais elle est surtout la droiture même et, quand elle découvre qu’afin de mieux