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chefs-d’œuvre si sincères : Miss Tempy’s Watchers, Decoration day, The Queen’s Twin, A Native of Winby, et tant d’autres qui se succédèrent, d’une valeur toujours égale, comme les perles d’un collier. Rien cependant, pas même le grand succès d’un de ses derniers livres, plus ample, sinon plus parfait que les autres, The Country of the pointed firs, ne pouvait faire supposer que l’auteur de ces brèves esquisses de la vie provinciale céderait un jour à la tentation d’aborder un genre qui tombe si facilement dans la convention et la banalité, le roman historique, préféré, bien à tort, au roman de mœurs. N’allait-elle pas s’y montrer inférieure à elle-même ? Il n’en fut rien. Miss Jewett a mis ses qualités habituelles au service de l’histoire, elle a su ajouter à l’observation précise des faits tout le mouvement dramatique nécessaire sans s’écarter de la simplicité ni de la vérité.

Autant que jamais elle reste fidèle à sa méthode : ne peindre que ce qui l’entoure. C’est à Berwick, c’est à Portsmouth dont elle connaît tous les aspects, que son héros Paul Jones prépara en effet la fameuse expédition du Ranger, ce mauvais petit bateau qui porta jusqu’en France, pour l’y faire reconnaître, la fortune naissante d’une grande nation. Tout près de la demeure de famille où s’écoule la vie studieuse de Sarah Jewett, passe, bondissante, la Piscataqua, sur les rives de laquelle l’aventurier écossais dévoué au service de la future république reçoit au premier chapitre l’opulente hospitalité du colonel Hamilton. Dès cette entrée en matière, le lecteur est surpris par la peinture de la haute vie coloniale, dont ceux qui s’obstinent à refuser un passé à l’Amérique ne soupçonnent ni le luxe solide, ni la dignité sévère. Autour du capitaine, prêt à porter en France la nouvelle de la capitulation de Burgoyne, se groupent des personnages qui, sur l’arrière-plan familier que miss Jewett excelle à rendre, ressortent avec le relief et le franc réalisme de bons portraits hollandais : le major Tilly Haggens qui a beaucoup guerroyé contre les Indiens, grand, lourd, mal bâti et non dépourvu cependant d’une certaine élégance, telle une bouteille ventrue de vieux bourgogne ; d’autres notables en jabot, manchettes, manteau rouge à collet de velours ; le ministre, de haut lignage ecclésiastique, qui, avec son tricorne, son ample redingote, son long gilet à vastes poches, le col blanc qui lui tient le menton très relevé et que fixe derrière la tête une