furent les voyages qui décidèrent de sa vie. A peine sorti de l’École polytechnique et de l’École des mines, il part pour l’Allemagne, en 1829, avec son ami Jean Reynaud. Ce sont d’abord les études d’ingénieur qui l’attirent vers les gîtes miniers, mais il aime, avec son compagnon, discuter les idées de l’époque. Ses premières lettres à sa mère, datées de la frontière française, racontent les incidens du voyage et dépeignent l’état de son esprit : « Nous avons trouvé dans cette maison un accueil complètement différent de celui que nous avait fait M. B… Je n’ai pu me dispenser d’y dîner avec Reynaud. Cette maison m’est désagréable parce que tout le monde est lancé dans un excès de dévotion qui passe toutes les bornes. M. de Y…, ne nous prouvant probablement pas l’air assez mystique, ne nous a pas adressé une seule fois la parole pendant le dîner. Quant au fils de Mme de X…, c’est un jeune homme charmant qui, malgré les précautions de sa mère, est entré complètement dans les idées du siècle[1]. » Les études métallurgiques, les multiples et fatigantes enquêtes n’empochent pas les deux amis d’employer paiement leurs heures de liberté. Surpris par des pluies torrentielles, ils sont bloqués dans le Hartz et confinés dans un hôtel où ils organisent de joyeuses soirées. Ce sont encore les distractions musicales qui reposent le jeune ingénieur de la rédaction de ses travaux, car si les journées sont consacrées aux enquêtes, ce sont les longues veillées qui permettent l’ordre et la classification des recherches. En 1833, nous retrouvons F. Le Play en Espagne, à Burgos, « ville sombre toute cléricale et monacale » dont « les costumes variés des moines et les chapeaux à la Basile des curés » semblent l’avoir fortement amusé[2]. Tout l’intéresse : les idées, les mœurs, les costumes. Un jour, il revêt l’habillement des gens du pays et nous décrit son équipée à travers les régions minières. On voit parcourant l’Estramadure « don Fréderico Le Play, chef de la Cavaléria, que ses amis de France ne reconnaîtraient certainement pas en ce moment, noirci par le soleil d’Espagne, décoré d’une moustache que les nobles d’Espagne, et les Français qui se permettent tout, ont seuls le droit de porter, coiffé d’un élégant chapeau andalous, enveloppé dans une vaste capa brune doublée de velours rouge comme la portent les
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