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qu’elle pouvait tirer des conceptions a priori de Turgot, de Malthus et de Ricardo. Elle a trouvé dans la « loi d’airain du salaire » le thème de revendications passionnées et elle a conclu à la suppression possible du salariat. Jusque-là elle affirme que la lutte des classes est une nécessité. Le Play, au contraire, a montré que l’union des classes est le fondement de l’harmonie sociale, qu’il y a entre patrons et ouvriers réciprocité de droits et de services et que, si l’égoïsme des hommes se refuse à l’accomplissement de tout devoir social, alors la guerre devient la règle et la paix sociale l’exception. L’Etat pourra et devra intervenir, multiplier les rouages officiels de police, de contrôle et d’assistance ; mais comme l’harmonie ne dépend pas des textes de lois, mais du contentement des âmes, on voit que le problème, s’il est nettement posé, est loin d’être résolu. Seules, l’histoire et l’observation des meilleures contrées manufacturières fournissent les solutions, dont les plus ingénieuses, les plus souples et les plus variées procèdent du patronage et aussi de l’association, cet autre rouage d’une saine organisation du travail.

Lorsque, laissant la vie privée nationale pour observer la vie publique, on étudie les rapports entre les citoyens, la première question qui se pose concerne la mission du pouvoir. Pour la comprendre, il faut considérer l’Etat à l’origine quand, sur un territoire inoccupé, les premiers émigrans s’organisent et confient à quelques-uns d’entre eux les services nécessaires à tous. Le pouvoir surgit naturellement et par délégation de la collectivité qui le réclame, et, créé pour la satisfaction d’intérêts dépassant les forces individuelles, il répond à des besoins strictement limités. Puis, les sociétés se compliquent avec l’accroissement de la population, et de nouveaux groupemens se fondent, élargissant le domaine de la vie publique. L’État voit ses attributions grandir, et si les gouvernans comprennent que, moins ils interviennent, mieux ils remplissent leur mission, alors celle-ci se renferme dans de justes limites. Les communes, les provinces, le pouvoir central ont, chacun dans leur sphère, une action restreinte, et c’est sur la décentralisation des services que repose la vie publique nationale. Si, au contraire, l’autorité centrale se persuade que sa force, comme le bien-être de la nation, dépendent de la passivité et de la faiblesse des collectivités inférieures, alors nous arrivons à une véritable congestion du pouvoir.

Entre ces deux conceptions du rôle de l’Etat, Le Play tenait