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sera pas moins un drame et un drame tout court. Quoi qu’en pense M. Galdós, il n’a pas démontré qu’un sujet puisse être également propre au livre et au spectacle, qu’il suffise de concentrer un récit pour en faire une intrigue, et que des héros de roman se transforment sans effort en personnages dramatiques.

On peut même redouter que l’auteur des Épisodes nationaux et des Romans contemporains n’ait développé chez lui des qualités qui risquent au théâtre de se tourner en défauts. Habitué à la lenteur nécessaire de l’analyse psychologique, saura-t-il ne retenir que le trait essentiel du caractère, le geste habituel du corps et l’unique cri du cœur ? La fécondité même de son imagination ne l’induira-t-elle point en quelque fâcheuse illusion ? Il s’est appliqué, et c’est bien le rôle du romancier, à peindre le milieu historique ou contemporain ; il a créé des personnages de toutes les classes pour en représenter les moindres aspects ; il a réussi à faire sentir, pour employer ses propres termes, « la respiration même de la foule. » Réussira-t-il aussi à choisir parmi les êtres qui lui paraîtront également utiles pour traduire les nuances de sa pensée, les seuls qui puissent garder sur les planches le relief de la vie ? Ne sera-t-il point tenté, malgré son goût pour la mesure et la vérité, de donner une préférence fâcheuse à ces âmes extraordinaires dans le mal ou dans le bien qui, comme un Torquemada, n’étaient point déplacées dans cette épopée moderne qu’est le roman contemporain, mais qui, ne pouvant s’éployer et s’expliquer dans la sobriété nécessaire du dialogue dramatique, ne manqueraient pas d’y prendre une allure mystérieuse et déconcertante ?

Ces réserves, qui trouveront plus d’une occasion de se justifier, doivent nous mettre en garde et non point en défiance. M. Galdós peut avoir tort de confondre en un même genre le drame et le roman, et se donner tout de même raison en réussissant également dans l’un et dans l’autre. Il importe en tout cas de noter qu’abordant la scène assez tard, et après y avoir mûrement réfléchi, il savait très nettement et ce qu’il voulait faire, et pourquoi et même contre quoi. Sans remonter jusqu’aux origines du théâtre espagnol contemporain, il suffira de rappeler que depuis 1874 et le succès retentissant de La Esposa del vengador, M. José Echegaray exerçait sur la scène de son pays une véritable dictature. Il y faisait triompher un drame où la tradition