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complicité du corregidor Turpin, y exerce un odieux despotisme. Un procès, auquel elle assiste pour divertir sa langueur, lui fait connaître un hidalgo, Juan Pablo Cienfuegos, dont les crimes n’ont été que des actes de justice. Elle le laisse d’abord emprisonner, mais elle le délivre bientôt pour lui donner un rôle dans une pastorale jouée dans ses jardins. A la faveur de son travestissement, Juan Pablo lui fait entendre, dans des vers platoniciens de Lope de Vega, qu’il contemple dans sa beauté sensible la beauté divine intelligible. Au contact de cette énergie et-de cette adoration, Laura a l’illusion d’une force renaissante. Elle fait prévenir Juan Pablo des embûches que lui tend Monegro. Des sorcières moresques lui ont prédit qu’elle serait reine avec lui dans un royaume d’allégresse et de pureté. Ce royaume serait-il de ce monde ? Elle le croit au moment où Juan Pablo vient lui annoncer que Monegro est vaincu et humilié. Mais, à mesure qu’elle se fait belle pour recevoir son peuple, son visage pâlit sans s’altérer, et elle meurt parmi les roses en rêvant d’un règne de paix et de justice. « Vassaux de Ruydiaz, s’écrie alors Juan Pablo, le grand esprit de notre souveraine est en un royaume glorieux. Elle était la beauté divine, l’idéale vertu, et nous ne sommes que pauvres vies aveugles, misérables… Qu’avez-vous fait, qu’avons-nous fait ? Détruire une tyrannie pour en élever une autre semblable. Le mal se perpétue. Parmi vous continuent à régner la méchanceté, la corruption, l’injustice. Pleurez, vies sans âme, pleurez, pleurez ! »

Je crois bien que c’est là le thème sur lequel est brodé le drame, mais il ne se dégage pas toujours nettement des scènes secondaires. M. Galdós proteste que l’exposition des caractères et le développement de l’intrigue ne lui ont pas permis d’être plus court. C’est, encore une fois, que ses habitudes de romancier lui ferment les yeux sur des longueurs dont il n’est pas le meilleur juge. Est-il d’ailleurs lui-même bien certain de n’avoir songé, quand il a écrit l’acte de la pastorale, qu’à « la logique interne de son drame ? » Ne s’est-il pas plutôt laissé entraîner par le désir de mettre à profit tous les documens que lui avait fournis la bibliothèque de notre Opéra, par l’irrésistible tentation d’un brillant effet de mise en scène ?

On ne peut pas non plus accepter sans réserve ses considérations sur ce symbolisme qu’il avait combattu, tout en s’en servant dans les Condamnés ? M. Galdós soutient maintenant que la