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M. Pérez Galdós, le plus dangereux des hétérodoxes. Il a fini par rendre hommage à la sincérité et à la valeur de son effort. Si l’on écarte une ou deux pièces et quelques scènes dont le plus grave tort est de n’avoir point été écoutées avec une curiosité purment esthétique, le théâtre de M. Galdós semble faire œuvre utile. Il essaie de faire passer sur une terre, où la tradition du moyen âge garde encore tant de puissance, un peu du souffle de l’esprit moderne. Les défauts qu’il personnifie dans ses héros, ce sont les vices mêmes par lesquels s’explique la décadence d’une race qui ne se relèvera qu’en s’en guérissant. Adressez-vous à des Espagnols. Il n’est pas un homme politique sincère qui se refuse à voir dans le « caciquisme » l’ulcère rongeur qui pourrit toutes les forces vives de ce généreux pays. Les plus avisés d’entre les catholiques ne feront pas davantage difficulté de reconnaître que la dévotion mal entendue est trop souvent chez eux une entrave à la diffusion du progrès. Les héros de l’Espagne sont encore trop exclusivement les saints et les « conquistadores. » À ces figures d’un autre âge il importe d’ajouter d’autres images et un autre idéal. Il est temps que l’Espagne apprenne à connaître et à admirer les volontaires du labeur quotidien. Celui-là mérite bien d’elle qui enseigne à mépriser le luxe des dimanches pour honorer le confortable de tous les jours, à ne plus compter sur les injustes faveurs de l’Etat, mais sur son propre et loyal effort. Dans un des derniers Episodes nationaux, la reine Isabelle échange des propos avec Beramendi : « Je ne cesse, dit-elle, de penser à mon histoire, et je me la représente comme une matrone vigoureuse… — Oui, avec un laurier à la main et un lion aux pieds. Ça, c’est l’histoire officielle, académique et menteuse. Celle qui mérite d’être écrite, c’est celle de l’être espagnol, de l’âme espagnole, celle où marchent confondus peuple et couronne, sujets et rois… — Oui, ce doit être vrai. — et cette histoire, je me la représente, moi, comme une déesse, comme une femme réelle et en même temps divine, de beauté parfaite… — Oui, oui, elle est vêtue à la mode grecque avec une tunique qui marque bien les formes. Ainsi se représente dans l’art tout l’idéal, ainsi l’être des choses, si l’âme des peuples… Cette figure que tu vois, puisqu’elle est purement espagnole, elle doit être brune. — Elle est brune, et brûlée par le soleil, par ce soleil d’Espagne qui n’est pas le soleil de tout le monde. — Et sans doute tu dois la voir svelte,