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avouer, et prêt à recommencer si vous pouviez respirer deux ans ? Dieu se contentera-t-il d’une dévotion qui consiste à doter une chapelle, à dire un chapelet, à écouter une musique, à se scandaliser facilement et à chasser quelque janséniste ? Non seulement il s’agit de finir la guerre au dehors, mais il s’agit encore de rendre au dedans du pain aux peuples moribonds, de rétablir l’agriculture et le commerce, de réformer le luxe qui gangrène toutes les mœurs de la nation, de se ressouvenir de la vraie forme du royaume et de tempérer le despotisme, cause de tous nos maux[1]. »

Fénelon termine cette lettre où il propose de convoquer, sinon les États généraux, du moins une assemblée de notables, en demandant au duc de Chevreuse de n’en pas communiquer le contenu au Duc de Bourgogne, pour ne pas trop lui ouvrir les yeux sur le Roi et sur le gouvernement, mais de lui en inspirer doucement tout ce qu’il croira utile et incapable de le blesser, afin de le mettre en état de parler avec force. C’était en effet par l’intermédiaire du seul Chevreuse, que Fénelon communiquait avec le Duc de Bourgogne, depuis le retour de celui-ci à la Cour, s’il faut du moins en juger par ce qui a été conservé de sa correspondance. On se souvient combien fréquent était leur échange de lettres durant la campagne de 1708, alors que, de Cambrai au camp de l’armée de Flandre, les communications étaient libres. Puis, tout à coup, à partir du jour où le Duc de Bourgogne rentre à Versailles, les communications cessent ; il semble que toute relation directe soit rompue entre le maître et l’ancien élève. La correspondance de Fénelon ne contient plus qu’une seule lettre au Duc de Bourgogne en date du 15 novembre 1709. Mais est-ce bien la seule qu’il lui ait écrite ? Ne mettait-il pas au contraire à profil, comme il faisait avec Chevreuse, les occasions fréquentes qui s’offraient à lui de faire parvenir au Duc de Bourgogne des missives secrètes, où il aurait continué de lui prodiguer, avec les marques de sa tendresse, ses conseils politiques et ses directions de conscience ? Nous inclinons d’autant plus à le penser, que dans cette lettre de 1709, rien ne témoigne d’une occasion exceptionnelle qui se serait offerte à Fénelon et dont il aurait profité avec joie. Elle commence au contraire tout uniment, et comme si elle

  1. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VIII, p. 323.