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blanc que tous les voiles blancs des Fasis prosternés devant « le mur de la prière. » Il barre le sol d’un trait éclatant, simple et net comme une volonté. Pas une broderie, pas une moulure, pas un ornement. Il est là pour ordonner avec force devenir sacrifier et prier. Le soir, quand l’ombre plane sur la ville, adoucit les arêtes des minarets, couvre les basses coupoles des marabouts, éteint les miroitemens des oliviers, revêt de sa douceur la nudité des monts, le petit édicule du Msalla délie la nuit, qu’il éclaire de sa blancheur impérieuse.

Ce matin, le peuple de Fès se rend à l’appel du Msalla. C’est l’heure de la prière, du sacrifice. Depuis bien des jours on s’y prépare, et, par centaines, nous avons vu s’engouffrer dans les portes, à flots dociles et poussiéreux, les troupeaux qui seront immolés aujourd’hui. Chaque Fasi a acheté son mouton. Nous avons vu jusqu’au plus petit artisan marchander soigneusement le sien sur la place. Et les ruelles étaient pleines de « Bons pasteurs, » portant sur leurs épaules les douces brebis dont le sang coulera tout à l’heure.

Mais d’abord il faut monter et se réunir au « mur de la prière. » Sur le peuple blanc qui chemine, la lumière tombe à flots prodigues. Elle élargit le paysage, recule à l’infini les limites des choses. Elle rayonne sur les faïences vertes des portes et des minarets et leur donne des reflets d’émaux. Sur le diadème ocré des murailles, elle révèle les usures lentes des ans, les longues traînées vertes, pareilles à des algues, à des mousses, les plaques que les brûlures du soleil ont irisées comme des nacres et tout le dessin des arabesques qui courent et s’entrelacent au front des ogives. Dans les cintres des portes voûtées et coudées qui s’ouvrent ici sur la plaine, Bâb Mahrouk, Bâb Segma, les Fasis se pressent, flots blancs, tranquilles, religieux. On ne voit que les hommes ; les femmes, restées au logis, regardent du haut des terrasses le mouvement de ce matin de fête. Les Fasis cheminent, montent lentement au mur de la prière, traversent la vallée des tombes qui déploie autour de la ville sa ceinture morte et sacrée. Par groupes calmes ils s’assemblent, patriarches à barbes blanches et jeunes seigneurs aux colliers noirs. Juchés sur les mules, les pieds solidement posés sur les larges étriers d’argent, uniformément enroulés dans les voiles fins, tissés ici pour eux dans les souks, ils font un peuple de statues vivantes, si blanches sur le socle des hautes selles de drap