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obscure, dans l’avilissement et dans le mépris public. On dit que Madame la Duchesse de Bourgogne fait fort bien pour le soutenir, mais qu’il est honteux qu’il ait besoin d’être soutenu par elle, et qu’au lieu d’être attaché à elle par raison, par estime, par vertu et par fidélité à la religion, il paroît l’être par passion, par foiblesse et par entêtement, en sorte qu’il fait mal ce qui est bien en soi[1]. »

Le témoignage de Chevreuse, qui est plus favorable au Duc de Bourgogne, ne suffit pas à rassurer Fenelon. Il est ravi que Chevreuse soit content du P. P. Pour lui il ne le sera point jusqu’à ce qu’il le sache libre, ferme, et en possession de parler avec une force douce et respectueuse ; autrement il demeurera avili, comme un homme qui a encore, dans un âge de maturité, une faiblesse puérile. Aussi, dans cette grande lettre à Chevreuse dont nous avons déjà parlé, où les malheurs de la France lui inspirent de si patriotiques accens, s’applique-t-il à tracer la ligne de conduite qu’il voudrait voir suivre au Duc de Bourgogne. « C’est le temps, dit-il, où il faudroit que Mgr le Duc de Bourgogne dît au Roi et à Monseigneur avec respect, avec force, et peu à peu d’une manière insinuante tout ce que d’autres n’oseront leur dire. Il faudroit qu’il ledit devant Mme de Maintenon ; il faudroit qu’il mît dans sa confidence Mme la Duchesse de Bourgogne ; il faudroit qu’il protestât qu’il parle sans être poussé par d’autres ; il faudroit qu’il fît sentir que tout périt si l’argent manque ; que l’argent manquera si le crédit ne se relève, et que le crédit ne peut se relever que par un changement de conduite qui mette tout le corps de la nation dans la persuasion que c’est à elle à soutenir la monarchie penchante à sa ruine, parce que le Roi veut agir de concert avec elle. Le prince pourra être blâmé, critiqué, rejeté avec indignation, mais ses raisons seront évidentes ; elles prévaudront peu à peu, et il sauvera le trône de ses pères. Il doit au Roi et à Monseigneur de leur déplaire pour les empêcher de se perdre. Au bout du compte, que lui fera-t-on ? Il montrera, comme deux et deux font quatre, la nécessité de ses conseils ; il convaincra de son zèle et de sa soumission ; il fera voir qu’il parle, non par foiblesse et par timidité, mais par un courage à toute épreuve. En même temps, il pourra demander avec les plus vives instances, la permission

  1. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 335.