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colonnades. Sous leurs arceaux, accroupis, les étudians de Fès récitent éternellement le Coran, fond de toute science. A la même heure sur l’autre rive de l’Afrique, sous une lumière plus brillante encore, dans la mosquée d’El-Azar, des foules de jeunes hommes redisent les mêmes textes dans la même langue, apprennent, en balançant aussi leurs têtes, la même lettre qui s’est vidée d’esprit. Fès, Le Caire, toute l’Afrique s’écoule sur ces deux versans. C’est un bourdonnement monotone, celui d’une ruche énorme où se mêlent le rire des enfans, les appels des mendians, les roucoulemens de milliers de colombes, les plaintes des aveugles qui lèvent vers le passant leurs orbites vides, où saigne encore le trou des fers supplicians.

Ecroulés sous les arches, comme des statues mutilées, des infirmes tendent leur sébile. Dans des recoins, des saints, sanctifiés par l’idiotie ou la folie, répandent en discours le vent de l’esprit. Une femme entièrement nue, une sainte aussi, erre autour du vieux sanctuaire, secoue sa crinière noire. Je connais bien, dans une cour de Fès fedid, sa petite tente loqueteuse, la tanière sous laquelle on la voit, le soir, se glisser comme une bête. Couchée dans un enfoncement d’ombre, elle écoute les prédications. La chevelure longue et désordonnée fait un flot sauvage sur le corps lisse, nu, qu’aucune curiosité ne frôle. Elle est hors l’humanité. Elle se lève, elle rôde, bête familière, respectée, visitée par un esprit inconnu. La grande vague humaine qui bat le vieux vaisseau a son écume. Les hideux Aissaoua, les Hammadja sanguinolens viendront ici après leurs extases furieuses.

Dans le grand rectangle inaccessible, lumineux, les moines blancs qui vous vendaient tout à l’heure des grains de canelle procèdent à leurs longs et profonds agenouillemens.

Karaouiyine, Moulay Idriss, voyez leurs minarets, les voici qui se lèvent encore une fois derrière nous et fusent au-dessus de la ville blanche comme nous remontons l’autre versant des ruelles tortueuses. Voici le jour, la lumière, des souffles de vent, des jardins. Fès se masse encore dans sa vallée, son vieux cadre ocré où les déchirures laissent entrer les verdures. Quelle délivrance, quel repos après l’ombre pesante, la clameur des processions, l’impétuosité fanatique qui ordonne les pluies et les orages à ce ciel pacifique qui creuse à l’infini au-dessus de nos têtes sa coupole immaculée ! Il faut s’asseoir ici sur le rebord de la fontaine, dans la solitude de ce midi qui a fait le vide aux