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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/920

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Tandis qu’on ne peut concevoir un art plus fortement individuel que la peinture de Michel-Ange, on n’en trouverait pas de plus collectif que la musique alla Palestrina. Le plafond de la Sixtine, ou le Jugement dernier, forme un ensemble gigantesque, à tel point qu’on ne saurait l’embrasser tout entier. On est forcé de le décomposer, ainsi que d’ailleurs il se partage de lui-même, en morceaux et comme en soli prodigieux. Entre tant de figures colossales qu’il rassemble, chacune existe en soi non moins que par rapport aux autres, dont elle dépend sans doute, mais dont elle peut également, et sans trop de dommage, se passer.

Au contraire, les figures sonores de la polyphonie vocale soutiennent les unes avec les autres d’étroites et nécessaires relations. Rien ne brise leur fraternel concert, condition et forme absolue de leur être, et l’action isolée de chacune d’elles serait peu de chose, ne serait rien auprès de leur réciproque et continuelle réaction.

Il y a plus, et l’histoire confirme en quelque sorte cette différence, que fait entre les deux arts leur nature respective elle-même. Gœthe a dit : « Avant d’entrer dans la Sixtine, on ne sait pas ce que peut un homme. » Il est merveilleux en effet que cette peinture ne soit que d’un homme. Mais que cette musique soit de plus d’un siècle, de plus d’une race, cela, pour d’autres raisons, n’est peut-être pas moins frappant.

Elle vint de la Flandre, où elle était née, et Rome d’abord ne l’entendit chanter qu’en des œuvres et sur des lèvres étrangères. Au début du XVIe siècle, c’est-à-dire quelque vingt ans après la consécration de la Sixtine, la plupart des grandes « chapelles » romaines possédaient encore un personnel (y compris leur chef), ainsi qu’un répertoire ultramontain. En 1541 même, Roland de Lassus était maestro de’ putti à Saint-Jean de Latran. Mais une transfusion mystérieuse mêla bientôt, ou soumit l’idéal du Nord au génie latin. La muse sacrée, hier encore seulement l’hôtesse de Rome, en devint la fille bien-aimée, et jusqu’à la fin du XVIe siècle, la gloire de la musique sixtine se confondit avec la gloire et le nom même de Pierluigi di Palestrina.

Celui-ci pourtant ne l’absorbe pas tout entière. Sans doute c’est grâce au maître de Préneste, que Rome et la Papauté entrèrent en possession, — à jamais, — d’un art qui, sans lui, remontant vers sa source, aurait pu leur échapper. Mais, fixé désormais dans la chapelle vaticane comme dans le sanctuaire ou