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le reste et elles l’emportent. Les quatre voix se jettent et se rejettent l’une à l’autre le commandement comme un reproche, pour ne pas dire comme une injure. Ailleurs, c’est une injure véritable, que le répons de Victoria : « Judas, mercator pessimus, » lance au visage du traître de Gethsemani. Il suffit de l’exécrable nom, tant il éclate avec horreur. De ce qui n’est dans le texte qu’un récit douloureux, la musique fait une atroce invective. Elle égale ici, par un seul cri, toutes les violences de la peinture, ce je ne sais quoi d’étrange et d’éperdu, cet emportement, cet effarement sublime, qui fait l’un des caractères du génie de Michel-Ange et qu’oïl a si bien nommé la terribilità.

Celle-ci donne un accent, terrible en effet, d’orgueil, de révolte et d’opiniâtreté superbe au motet de Palestrina : « Peccantem me quotidie et non pœnitentem. » Les sons par degrés s’y endurcissent vraiment comme l’âme, chaque jour pécheresse, et qui ne veut pas se repentir. « Timor mortis conturbat me, » poursuivent les voix, soutenant d’un long souffle une clameur d’épouvante. Puis, quand viennent les mots : « Quia in inferno nulla est redemptio, » tout s’affaisse et retombe. Autant, sur la muraille de Michel-Ange, les figures des réprouvés forment des groupes ou des grappes épaisses, autant les accords de Palestrina se dépouillent et se réduisent. Mais ce vide n’a pas moins de grandeur que cette plénitude, et pour exprimer un désespoir éternel, toute cette chair n’a pas plus de puissance que ce peu de soupirs.


V

Si l’on a souvent méconnu dans la musique palestinienne le principe de l’action et du mouvement, on n’a pas non plus mesuré la place que la peinture de Michel-Ange accorde au repos, à la contemplation et à la rêverie.

Il agit, il se meut à peine, le douloureux Adam qui soulève son corps superbe et tend un bras, une main déjà lasse et retombante, à la vie qui va jaillir du doigt de Dieu. Mais la pensée et le souci de toute l’humanité future habite son regard et son front. Au-dessous de lui, qui dira quels prophètes sont les plus admirables, ceux qui s’emportent ou ceux qui se contiennent, ceux qui maudissent ou ceux qui méditent, ceux que leurs visions enivrent ou ceux qu’elles paraissent accabler. De même