Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/928

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les fortunes se font et se défont, nous assistons à une série ininterrompue de changemens à vue, et nous ne songeons même plus à en concevoir de l’étonnement. Ce qu’on appelle aujourd’hui le monde nous donne bien en effet l’impression d’une mouvante et décevante fantasmagorie. C’est un concours de façades ; c’est un jeu d’illusions et d’apparences ; nous nous en amusons ; nous ne nous reconnaissons guère le droit d’être difficiles et de demander aux gens compte de ce qu’ils sont ; nous n’avons qu’une peur, celle d’être dupes : nous nous empressons donc de nous faire complices. Il est vrai encore que le goût de paraître est plus qu’un ridicule. Comme il repose sur le mensonge, il fausse toutes les conditions de la vie. Et comme il confine nécessairement aux questions d’argent, il ne peut manquer de nous acheminer vers le drame.

L’auteur de Paraître' ! a donc mis la main sur un très beau et très actuel sujet de comédie dramatique. Pour en tirer une pièce un peu forte, il n’aurait eu qu’à le vouloir. Mais il ne l’a pas voulu ; une fois de plus, il a préféré nous laisser déçus ; car c’est sans doute à une espèce de parti pris, à une sorte d’indifférence dédaigneuse, qu’il faut attribuer les trop nombreuses défaillances de son art. Les éloges maladroits de la presse ont rendu à M. Donnay un service déplorable. Comme il arrive presque toujours, c’est pour ses défauts qu’on l’a loué. On l’a célébré justement pour ce qu’il y avait de superficiel dans sa manière et pour son excessive facilité. On l’a complimenté pour ses nonchalances, où l’on a fait semblant de voir les plus grands des artifices. Il averse du côté où il penchait. Il n’a pas compris que, si on peut, avec un tour d’esprit agréablement parisien et un habile emploi de la note émue, gagner une partie, c’est une gageure à ne pas recommencer. Persuadé que sa grâce sera la plus forte, il croit qu’il n’a besoin ni de serrer les idées qu’il met en œuvre, ni de choisir avec quelque discernement les personnages qu’il met en scène, ni d’être lui-même un peu plus sévère pour la qualité de son pathétique ou pour celle de son esprit. L’à peu près est un système commode pour faire des mots, mais dangereux pour faire des pièces.

L’idée qu’évoque ce mot : « paraître » n’a tout son sens et toute sa précision que s’il est question d’argent ou de relations. On veut paraître plus riche que l’on n’est ; on veut paraître fréquenter des personnes qui marquent bien. M. Donnay étend le sens du mot aussi loin qu’il plaît à sa fantaisie, en sorte qu’on ne sait plus au juste à qui il en a. Il serait à peine suffisant de dire qu’il a voulu réunir dans sa pièce tous les originaux d’une sorte de foire aux vanités. Et on ne