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divers moyens à recruter des adeptes à leur religion. Évidemment ces Weston n’ont été introduits dans le roman] que pour représenter le « papisme, » tandis que le chevalier de la Motte, bien qu’il fût, lui aussi, très dévot catholique, devait surtout représenter les vertus françaises.

Or Thackeray a été surpris par la mort, avant de pouvoir finir son roman ; et ses éditeurs, lorsqu’il est mort, ont publié les notes et brouillons qu’ils ont pu découvrir parmi ses papiers, de façon à nous permettre d’imaginer quelle suite et quel dénouement il s’était proposé de donner à Denis Duval. Et ainsi nous nous trouvons posséder, réunis et transcrits par Thackeray lui-même, les documens historiques qui lui ont servi de point de départ pour son travail d’évocation romanesque.

L’un de ces documens concerne les frères Weston. En 1780, ces deux frères ont comparu aux assises, accusés d’avoir attaqué la malle-poste de Bristol. Acquittés, ils ont été accusés, ensuite d’avoir commis des faux : et, cette fois, l’un d’eux, George, a été reconnu coupable et condamné à mort. Leur participation à la tentative d’espionnage de La Motte est, il est vrai, toute de l’invention du romancier : mais leur caractère de coquins et d’hypocrites semble bien avoir été authentiquement établi. Oui ; mais ces détrousseurs de diligences, ces faussaires, n’étaient pas le moins du monde de fervens catholiques : au contraire, ils étaient « fabriciens » d’une église protestante, et « fort respectés de toute la paroisse ! » Et l’on se demande ce qu’aurait pensé et écrit l’auteur de Denis Duval, si, par exemple, un romancier français, racontant l’arrestation de la Duchesse de Berry, y avait fidèlement indiqué le rôle du traître Deutz, mais en faisant de celui-ci un Anglais, un produit typique et représentatif de la race anglaise.

Non moins authentique est la figure du chevalier, — ou plutôt du baron, — Henri François de la Motte. Le procès de ce personnage est analysé, tout au long, dans l’Annual Register de 1781 : et c’est encore à Thackeray que nous devons de connaître les passages de cette publication qui font mention de son aventure. Le baron de la Motte était un gentilhomme lorrain qui, depuis 1778, avec l’aide de l’Allemand Lutterloh, avait entrepris de procurer au ministère français des documens secrets touchant la défense navale des côtes anglaises. Il fut trahi par son complice, et le 14 juillet 1781, six mois après son arrestation, fut déféré aux assises de Londres ; Lutterloh, le misérable qui l’avait vendu, fut le seul témoin entendu contre lui. Et l’Annual Register termine ainsi sa relation de l’événement :