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« La liberté, je la défendrai toujours dans l’opposition. »

Après les hommes politiques, mais d’une autre manière, certains comices agricoles s’étaient émus de cette rapide éclosion des syndicats ; mieux armés par la loi, moins platoniques, plus agissans, ceux-ci pouvaient élever le conflit, ériger autel contre autel, attirer à eux les forces vives de l’agriculture, en réduisant les vieux comices au rôle de rois fainéans. Les défenseurs des intérêts ruraux n’ont eu garde de se heurter à cet écueil, et se sont appliqués à souder le présent au passé, en mariant les jeunes syndicats aux antiques associations, en empêchant le choc des jalousies et des ambitions humaines. Les deux institutions ne sont-elles pas attelées au même char, ne tirent-elles pas dans le même sens ? Tantôt les comices se transforment en syndicats, tantôt le bureau du comice devient en partie le bureau du syndicat. La politique des concordats n’est-elle pas la meilleure pour les sociétés, comme pour les individus et les puissances laïques ou religieuses ?

On a vu l’hostilité des socialistes, la méfiance ombrageuse d’une partie du commerce honnête, la haine des parasites véreux qui rappelle le mot cité par Chamfort : « Ils craignent la publicité comme les voleurs craignent les réverbères. » Ajoutez-y la phalange, toujours considérable, des sceptiques, des routiniers, des gens superficiels ou paresseux qui ment pour se dispenser de s’éclairer, et répètent les formules toutes faites. Ainsi les uns reprochent aux syndicats de ne rien faire, les autres de trop faire, ou de sortir de leurs attributions ; ceux-ci craignent qu’ils ne deviennent les régulateurs du marché, et ne ramènent les bénéfices exagérés à un chiffre raisonnable ; ceux-là redoutent l’examen, l’analyse consciencieuse du syndicat qui dévoilerait leurs… indélicatesses : comment ne le détesteraient-ils pas, puisque chaque recrue faite par lui leur enlève un client, une dupe ?

Oui, certaines gens accusent les syndicats de ne rien faire. Ce sont de ces griefs qu’on pourrait réfuter par un sourire ou un haussement d’épaules ; les syndicats vont de l’avant, un de leurs présidens me disait gaiement : « Les chiens aboient, la caravane passe ; j’ai passé. » Ils ont passé, et il convient de relever les nouvelles traces de leur passage, car, semblables à l’explorateur d’un pays inconnu, ils laissent des points de repère, des postes, des établissemens, dérouillent les intelligences, plantent le drapeau du progrès dans des régions jusqu’alors inexplorées, défrichent des