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permet d’acheter moins cher, de vendre mieux, de lutter contre le péril économique étranger.

Beaucoup de syndicats ont au chef-lieu un immeuble qu’ils louent ou qui leur appartient en propre : et, lorsqu’ils l’ont acquis de leurs deniers, ils l’aiment davantage encore, ils y vont les jours de marché, comme le député va à la Chambre, le curé à l’église, le chasseur au bois ; c’est bien réellement, selon la formule de M. de Rocquigny, et la maison du peuple, la maison des paysans. » Et il n’est pas rare qu’on y prenne son repas à des prix très modérés, qu’on y trouve une bibliothèque, des journaux agricoles, les causeries familières, des consultations juridiques et médicales gratuites. « Ce qui fait surtout plaisir, c’est d’être entre braves gens, disait un associé à M. Louis Milcent ; dans l’auberge on en entend de toutes les couleurs, sans pouvoir rien dire, afin d’éviter les disputes. » On ne se contente pas de se réunir pour causer des intérêts communs et des affaires privées, on s’assemble de loin en loin pour se divertir, pour faire descendre un rayon de gaieté dans les âmes. Les syndicats ont leurs banquets annuels, où ne manquent ni les discours, ni les chansons, précédés ou suivis de cavalcades, de concerts, de représentations théâtrales.

L’Union Beaujolaise célébrait, en 1898, le dixième anniversaire de sa fondation par un banquet de 1 200 convives. A Blacé (Rhône), le syndicat de Villefranche, pour fêter la millième inscription de bête bovine aux sociétés d’assurances, a organisé un festin appelé : le banquet de la millième vache.

On m’a rapporté qu’à l’une de ces agapes, un riche cultivateur, arrivant fort en retard, s’excusa en ces termes : « Je demeure loin, comme vous savez ; étant descendu un instant de voiture, je me mis à regarder le pays, les champs, les prés, le soleil qui se couchait sur la forêt voisine, et, ma foi, à force de contempler tout cela, je me suis attardé à rêver. »

Devant cette grande paix qui descend d’un beau paysage rural, je me mets souvent à rêver de paix sociale, de sympathie entre les hommes, de confiance et d’estime réciproques. Le progrès est lent, il semble parfois qu’il marche à la façon des écrevisses, que d’effroyables misères lui servent de cortège ou l’anéantissent. Il existe cependant, fît per inscios, donnant des démentis nombreux à ceux qui le nient, comme à ceux qui l’affirment trop. Le comte de Chambrun considérait les syndicats agricoles comme « le chef-d’œuvre de la sociologie. » Tout au moins peut-on dire que ces syndicats d’affaires, de bon sens, de concorde, sont le contrepoison