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Lorient. Le désordre est dans les esprits : comment ne se traduirait-il pas dans les faits ? On se préoccupe de ce que sera le 1er Mai, et cette préoccupation fait même naître une sorte de panique, probablement exagérée. Les événemens qui se réalisent ne sont généralement pas ceux qu’on annonce longtemps à l’avance pour un jour déterminé. Quand ils le sont, ils prennent une autre forme que celle qu’on avait attendue. Le danger n’est pas dans une date, ni dans une région déterminées. Il nous menace tous les jours et partout, parce que sa cause est en nous-mêmes, c’est-à-dire dans le faible gouvernement auquel nous avons confié nos destinées. Il est possible, bien que nous ne nous en apercevions pas assez, que quelques-uns de nos ministres, M. Clémenceau et M. Briand, aient quelque peu changé ; mais le monde ouvrier continue de les voir sous l’aspect qu’ils avaient autrefois, et leur présence au gouvernement est pour lui un encouragement. Comment oublierait-il que M. Briand prêchait la grève générale à un moment qui n’est pas encore bien éloigné de nous, et qu’il excitait contre l’armée les plus détestables sentimens ? En le voyant arriver au pouvoir, les grévistes de profession et les révolutionnaires ont cru que le moment d’agir était venu, et qui ne l’aurait cru à leur place ? Nous ne savons pas encore, si nos ministres auront l’énergie nécessaire pour arrêter le mouvement révolutionnaire qui est déjà en marche ; mais quelques-uns d’entre eux en sont incontestablement les auteurs. A la veille des élections, le moment était-il bien choisi pour les porter au pouvoir ?

Nous le saurons bientôt, puisque nous sommes à la veille de la grande consultation du suffrage universel : elle doit avoir lieu le 6 mai. Il est toujours imprudent de faire des prophéties à la veille des événemens ; mais nous serions surpris si le malaise général et l’inquiétude que nous voyons partout, ne se traduisaient pas de quelque manière dans les scrutins. On a touché à tout en même temps, aux intérêts moraux et aux intérêts matériels du pays. Reste à voir si la Chambre et le gouvernement ont été bien inspirés en provoquant à la fois tant de sentimens divers, mais profonds et puissans. Quel que soit d’ailleurs le résultat des élections générales, nous ne cesserons pas de réclamer une politique, non pas de réaction, mais de réparation. Si on ne la fait pas, le danger qui nous menace aujourd’hui deviendra de plus en plus grand. Toutes les fautes s’expient : ne commence-t-on pas à s’en apercevoir ?


Les événemens qui se passent en Europe mériteraient plus d’attention, ou du moins plus de place que nous ne pouvons leur en donner en ce moment : on nous excusera d’en parler avec quelque brièveté. Le