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L’AFFAIRE BAUDIN
(1868)


I

L’abolition du régime discrétionnaire de la presse n’eut pas seulement pour effet de rendre très hardie la polémique devenue plus indépendante des journaux de partis déjà autorisés tels que le Temps de l’orléaniste Nefftzer, l’Avenir national du jacobin Peyrat, l’Univers de Louis Veuillot[1], reparu après une longue suspension. Elle suscita en province et à Paris la création de nouveaux journaux non moins hostiles : la Tribune de Pelletan, l’Électeur libre de Picard, le Réveil de Delescluze et de Ranc, la Revue politique de Challemel-Lacour, etc. Cependant ces journaux, fondés avec de petites ressources, mal lancés, malgré le talent de leurs rédacteurs, n’obtenaient qu’un succès restreint et constituaient plutôt des centres d’action que des organes de publicité redoutables. Mais le samedi 31 mai 1868, des porteurs affairés venaient déposer dans tous les kiosques, surtout dans ceux des boulevards, une petite brochure rouge du prix élevé de 40 centimes, la Lanterne, par Henri Rochefort. Le marquis avait supprimé sa particule ; sur son frontispice il avait mis une lanterne et une corde. La lanterne signifiait : Je vais vous montrer ce qu’ils sont. Et la corde : Après cela il ne restera qu’à les pendre. On ouvre la brochure et on lit : « La France contient trente-six millions de sujets sans compter les sujets de mécontentement. » — Que c’est drôle ! s’écrie le bourgeois ravi. Il continue avidement : « J’ai été accusé, par l’employé supérieur qui m’a reçu, d’être un

  1. Avant même la promulgation de la loi, l’Empereur avait gracieusement accordé à Veuillot l’autorisation de ressusciter l’Univers (19 février 1867).