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Mais les plus graves conséquences en dépendaient, et cela vaut d’être mis en pleine lumière.

La session de 1868 m’avait laissé dans une situation bien différente de celle dans laquelle elle m’avait trouvé. Au début j’étais isolé, suspect à l’opposition parlementaire, odieux à la majorité gouvernementale aussi bien qu’à la minorité radicale, abandonné par l’Empereur, déchiré par ses ministres, presque sans amis politiques. « Les hommes ont besoin pour classer les hommes d’une définition précise de leurs tendances ; ils n’aiment pas à démêler les fils d’une existence qui se tient à part. A qui êtes-vous ? voilà la question que chacun se pose[1]. » Je n’étais à personne et personne n’était à moi, si ce n’est quelques âmes altières affranchies aussi des servitudes de parti. A la fin de la session, grâce à ma vigoureuse offensive, ma situation paraissait toute différente. Les colères de la droite extrême, loin de s’atténuer, s’étaient accrues ; plus que jamais les partisans de Rouher manifestaient leur hostilité ; en revanche, j’avais regagné les gros bataillons de l’opinion libérale ; les hommes des anciens partis, qui déguisaient leurs rancunes sous un semblant de passion parlementaire, sans renoncer à leurs défiances ne les manifestaient plus ; les républicains de la Chambre me faisaient de nouveau bon visage : Jules Simon, m’ayant rencontré chez un de. nos collègues, avait repris le premier avec moi une conversation polie, que, malgré mes griefs, je n’avais pas refusée ; Jules Favre déclinait une candidature contre moi dans le Var ; Pelletan n’avait cessé de me rendre la sympathie amicale que je manifestais pour la remarquable vigueur et la poésie de son éloquence. L’occasion ne m’avait pas encore été donnée de reprendre, avec Ernest Picard, les relations affectueuses d’autrefois, mais je n’avais à en redouter aucun mauvais procédé ; Thiers restait indulgent à mes hérésies par le respect personnel que je lui témoignais toujours, et nos rapports étaient excellens. Le noble et droit Buffet m’était toujours acquis ; il maintenait dans ces dispositions le tiers-parti dont il était le chef ; les catholiques me savaient gré de défendre le salaire du clergé et de parler avec admiration de Pie IX. Au dehors, les journaux radicaux se montraient moins âpres ; Vermorel, démagogue réputé, écrivait un

  1. Lacordaire, Correspondance.