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à la Cicindola discrepans, que j’en ai. Vous dii-ai-je les heures passées à la chasser ? Vous la connaissez bien, la bête agile, habillée de velours et de bronze, avec des taches couleur de miel, pareilles à des larmes semées sur le vert sombre de ses élytres. Je puis vous renseigner sur ses mœurs, aujourd’hui, et c’est ce que l’on n’avait point encore fait. Plus légère que les plus fugaces de ses congénères qui volent sur nos plages ensoleillées ou sur les sentiers sablonneux de nos bois, l’admirable insecte fréquente ici dans les allées les plus obscures, où le soleil ne réussit pas à percer le dôme épais de feuillage. Ce n’est pas une fantaisie de dire qu’on ne pourrait point lire un journal en cet endroit. Le sol de ces allées désertes disparaît sous les feuilles sèches. Et dans la jonchée des feuilles qui crient sous le pied, voltigent, sautillent, courent divers insectes, tous de forte taille. D’abord deux hyménoptères, deux sphex, l’un couvert de poils argentés, l’autre couvert de poils roux. Ils creusent la terre avec leurs pattes épineuses et font entendre cette forte stridulation par laquelle tout fouisseur, digne de ce nom, annonce qu’il se livre au travail et qu’il désire n’être point dérangé. Ces sphex sont des chasseurs de criquets, sans doute. Mais je ne les ai pas vus rapporter leur proie au nid. Viennent ensuite des longues mouches carnassières, des asiles, diptères noirs, hérissés de crins rudes, qui cherchent fortune, avec un bourdonnement strident. Enfin, les cicindèles !

Elles sont bien peu nombreuses et volètent en rasant le sol. On voit briller comme un éclair bleuâtre. Et c’est tout : la bête est posée. Si, par cet effort d’attention, que peut obtenir le naturaliste grâce à une longue habitude, on arrive à fixer la place et à poser le filet, au jugé, la difficulté ne fait que commencer. La cicindèle, ainsi emprisonnée sous la gaze ne monte pas dans la poche. Elle file sous le cercle, s’esquive entre les feuilles mortes, et s’envole avec ce bruit particulier, encore qu’imperceptible, qu’on n’oublie jamais, tant la déconvenue est grande. Le seul souvenir que laisse la fugitive de cette lutte à tâtons, est la forte et tenace odeur de rose et de jasmin qui émane de toutes ces belles espèces indiennes, perles de l’écrin entomologique oriental.

Je ne vous en parlerai pas plus longtemps. Sachez, pour finir, qu’en douze jours de séjour, je n’ai réussi ù prendre que trois Cicindela discrepans, et que, sur ces trois, une s’est envolée de mon flacon à cyanure, avant que j’aie eu le temps de replacer le