s’essayaient à éclipser l’éclat du soleil. Mais, malgré le fracas de cette artillerie religieuse, malgré les cris d’enthousiasme des dévots en délire, le char de Çiva n’avançait pas d’un mètre par minute. Puis il resta immobile, au beau milieu de la rue, comme si une force surnaturelle l’eût cloué au sol. Le quadrige de chevaux sculptés, peints et dorés à neuf, qui se cabrait à l’avant, dans le vide, augmentait, par son allure violente, le fâcheux effet de cette panne. Le chef des brahmes frappant en vain son front démesurément découvert par le rasoir, prodiguait les ordres. Le char refusait d’avancer. Ses dimensions égalaient, je dois vous le dire, celles d’une petite maison à trois étages, dont le dernier, effilé en clochetons, ajouré de fenêtres arquées, servait de demeure à un brahme. Ainsi perché, ce brahme soufflait dans une trompette de cuivre, tel Spendius dans l’hélépole que les mercenaires poussaient contre les murailles de Carthage. Mais le bétail humain attelé au char de Çiva n’obéissait pas en mesure aux accens du clairon. Les gens occupés à tirer se retournaient sans cesse pour voir si l’on poussait de l’arrière ; ou bien ils s’écartaient en tirant, emmenant les cordes, si bien que l’édifice roulant, tiraillé dans des directions contraires, s’en allait de côté, ou bien reculait. Alors les traîneurs s’arrêtaient, secouant la sueur qui ruisselait de leur torse. Les brahmes, en quête de renfort, couraient, un bâton à la main, mais le public s’enfuyait devant eux. Et s’ils étaient assez heureux pour racoler par la persuasion quelques auxiliaires bénévoles, on voyait ces dévots se dérober après avoir un peu touché les cordes du char, ne tenant pas sans doute à se mêler aux corvées que les municipalités fournissent pour ce roulage liturgique.
Irons-nous comme jadis, organiser le halage, distribuer le blâme sous forme de coups de canne, l’éloge sous forme de bourrades ?… Mais les autorités locales m’entraînent vers la mairie : les bayadères attendent, avec Chanoumougamodélyar en personne, et nous ne pouvons décliner l’invitation. Nous voici donc assis sur des chaises sous la vérandah de la mairie. La petite bâtisse n’a rien qui fasse reconnaître sa signification officielle, la présence de Chanoumouga suffit toutefois aujourd’hui à l’illustrer. Le chef du service judiciaire qui se trouve là, s’étonne du peu de déférence que je montre à l’endroit du grand électeur de l’Inde : « Eh quoi, Monsieur 1 Ne savez-vous pas que Chanoumouga