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avait suivie et avec laquelle ils avaient reçu mandat de rompre. Ils y furent d’autant plus naturellement conduits qu’au moment même où ils avaient le regret de voir le gouvernement américain s’éloigner de la France, le parti démocratique, avec plus d’insistance que jamais, ne cessait de leur offrir son concours, les assurant que, s’il arrivait aux affaires, l’alliance franco-américaine deviendrait sans délai un fait accompli, tandis que le maintien du statu quo la rendait irréalisable. « La Constitution fédérale, écrivait Fauchet, le 5 juin 1794, beaucoup plus voisine de celle de l’Angleterre que la nôtre, est semblable sn beaucoup de points à celle de 89. Les affinités, le luxe effréné, les habitudes, le commerce des États-Unis, tout semble les rapprocher de cette nation atroce qui a secoué toute pudeur d’humanité. Aussi, quelles que soient les vexations que le commerce anglais exerce contre les Etats-Unis, elles sont palliées, atténuées, excusées même par un certain parti qui domine dans le Conseil exécutif et dans le Sénat et qui rampe en minorité dans la Chambre des représentans. » Comment, dès lors, Fauchet n’eût-il pas été tenté de chercher à tirer parti de l’antagonisme des deux grands partis américains, dont il nous a laissé un intéressant et vivant tableau ? D’un côté c’était le parti fédéraliste ou aristocratique ayant à sa tête Hamilton « homme de grands talens, » qui exerce sur l’esprit du président une autorité prépondérante ; le général Knox « vain, sans tenue, sans caractère ; » John Adams, l’un des plus fervens admirateurs de la Constitution anglaise, a qui ne trouve pas le sens commun à celle que vient de se donner la République française, d’autant plus qu’elle est fondée sur l’égalité, qui, d’après lui, n’est qu’une chimère. » De l’autre, c’était « le Peuple » prêt à se soulever contre ce gouvernement, célébrant les victoires des armées révolutionnaires, — portant des toasts enthousiastes à la Montagne et à une alliance éternelle entre les deux républiques sœurs, — dégréant un bâtiment qui transportait à Halifax des Anglais mis en liberté, — pendant en effigie à Charleston, avec Pitt et Dumouriez, deux membres du Congrès accusés d’être les ennemis de la France.

Entre ces groupes rivaux, qu’il s’applique à ménager, si différentes que soient envers eux ses sympathies, Fauchet ne cesse de se débattre, d’autant plus gêné qu’il ne reçoit de Paris que de rares et contradictoires instructions. Évitant le plus possible, et non sans