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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/464

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l’esprit chrétien, ne l’ont pas compris, ou peut-être, l’ayant trop bien compris, s’en sont offensés : et. ainsi, nous avons assisté, depuis une vingtaine d’années, à une véritable campagne, conduite d’ailleurs avec une adresse et une discrétion admirables, pour déposséder Fra Angelico de la place d’honneur qu’il occupait parmi les peintres italiens du quattrocento. Faute de pouvoir faire pour lui comme pour d’autres artistes et écrivains catholiques, dont on s’est efforcé de prouver qu’ils avaient été, à leur insu, des païens ou des hérétiques, ou encore que leur foi religieuse n’avait joué aucun rôle dans leur production, on a simplement tâché, d’une façon plus ou moins ouverte, à l’éliminer de l’histoire de l’art. On nous l’a représenté comme un agréable illustrateur, indifférent au mouvement artistique de son siècle, et, — pendant qu’auprès de lui la peinture florentine traversait une crise décisive de transformation et de renouvellement. — s’obstinant à répéter toujours les mèmes images par les mêmes moyens, qui, du reste, étaient ceux d’un miniaturiste plutôt que d’un peintre. Historiens et critiques ont pris l’habitude de ne plus s’arrêter devant l’œuvre de ce « doux moine sans malice qui, enfermé au verrou dans son monastère, arrosait béatement l’antique de son eau bénite ; » ou bien, s’ils étaient forcés de nous parler de lui, ils se sont ingéniés à le diminuer, sauf à employer, pour y parvenir, toute sorte d’argumens d’une subtilité imprévue. Un critique anglais dont l’influence, aujourd’hui bien réduite, a longtemps été des plus considérables, M. Berenson, dans son livre sur les Peintres Florentins de la Renaissance, a affirmé sérieusement qu’il ne découvrait aucune trace, chez Fra Angelico, « de la profonde intelligence qu’avait eue Giotto de la signification matérielle et spirituelle de la réalité visible. » Et M. Berenson ajoutait : « Comme tous les grands artistes, Giotto ne s’est jamais abaissé jusqu’à introduire dans son œuvre ses sentimens personnels à l’égard de cette signification : il lui a suffi de la comprendre et de la traduire. Mais, pour une personnalité artistique plus faible, cette signification, perçue vaguement, s’est convertie en émotion ; elle n’a plus été que sentie, et non réalisée. » Par où, en des termes que leur allure emphatique n’empêchait point d’avoir un sens très précis, l’écrivain anglais nous donnait à entendre que Fra Angelico, avec sa « personnalité faible, » et sa « perception vague de la réalité visible, » n’était au demeurant qu’un peintre de second ordre, indigne d’être comparé non seulement à un Masaccio, mais à cet Andrea del Castigno dont M. Berenson déclarait, quelques pages plus loin, qu’il « était doué d’un grand sentiment du significatif. »