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Il l’était comme l’avait été, avant lui, Giotto ; et l’on s’explique par là, que ses anciens biographes aient voulu reconnaître en lui le « dernier giottesque. » La différence que nous constatons entre son œuvre et celle de ses contemporains de Florence, on la retrouve entre l’œuvre, toute musicale, de Giotto et le pesant naturalisme des Gaddi et des Giottino. Mais Fra Angelico, si aucun autre des poètes de la peinture ne l’a égalé, n’a cependant pas été le « dernier » de sa race. Dans toutes les écoles, à toutes les périodes de l’histoire de l’art, il y a eu des hommes qui ont eu le bienheureux privilège de transfigurer notre vision commune du monde extérieur, soit que, comme Raphaël, Corrège, ou Titien, ils l’aient revêtue, pour nous, d’une lumière plus charmante, ou que, comme Rembrandt, ils nous l’aient imprégnée d’une émotion plus profonde et plus pathétique. Et, quelle que soit l’école dont ils sont sortis, à quelque source qu’ils aient puisé leur inspiration, catholiques, ou protestans, ou humanistes païens, Fra Angelico est leur maître, le plus « chantant » d’eux tous et le plus parfait : aucun d’eux n’a su, autant que lui, en peignant notre « réalité » terrestre, nous donner l’illusion bienfaisante du ciel.


T. DE WYZEWA.