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appliqués, dans leurs professions de foi, à ménager les sentimens du pays, surtout en matière religieuse, et nous avons exprimé le désir que ces sentimens restent ce qu’ils sont. Il faut ici s’expliquer avec une absolue franchise : c’est un devoir de le faire en face d’illusions qui survivent peut-être aux élections du 6 mai, et qui n’ont pas été sans influence sur elles. Si on prend le pays dans son ensemble, ses sentimens vrais en matière religieuse sont une indifférence qui se transforme naturellement en tolérance, mais qui se transformerait encore plus sûrement en hostilité s’il apercevait, derrière l’Eglise, des partis politiques dont il a l’habitude de se défier. Le paysan, qui représente la masse électorale, est peu religieux : il entend toutefois qu’on laisse le curé tranquille dans son église, à la condition qu’il n’en sorte pas pour se mêler, directement ou indirectement, à la vie politique de la commune. Telles sont nos mœurs actuelles : il serait imprudent de s’y tromper. Une des raisons pour lesquelles nous avons toujours été partisans du concordat et adversaires de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, c’est que le premier système, assurant au clergé son indépendance à l’égard des fidèles, correspond mieux, non seulement au principe de la hiérarchie catholique, mais encore à cette nécessité d’abstention dans nos luttes civiles et politiques qui s’impose à nos prêtres avec une force toujours plus grande. Dans le système de la séparation, le curé qui a besoin matériellement des fidèles, éprouve une tentation de plus en plus grande de sortir de son église pour se mêler à la vie publique. Nous savons très bien tout ce qu’on peut dire pour l’y encourager. Il est désirable à beaucoup d’égards que la vie générale et la vie religieuse se confondent et en quelque sorte se pénètrent plus profondément. Cela arrivera peut-être dans un avenir éloigné. Mais, pour le moment, des préjugés s’y opposent, si anciens, si invétérés, si puissans, que toute tentative dans ce sens est vouée à un insuccès certain. Si le curé sort de son église, il tombera bon gré mal gré entre les mains de partis politiques qui l’attendent au seuil et qui s’efforceront de l’accaparer. Il essaiera en vain de leur échapper ; il n’y réussira jamais assez pour désarmer des soupçons, injustes nous le voulons bien, mais actuellement indéracinables. Les choses étant ainsi, il en résulte pour le clergé une grande difficulté de vivre. Quel que soit le parti qu’il prenne, il y trouvera des inconvéniens. Le pire de tous à nos yeux serait d’attiser par la moindre imprudence ces passions qui le guettent, qui se sont artificiellement modérées pendant la campagne électorale, mais qui sont toutes prêtes à se déchaîner le lendemain. La conclusion pratique de ce qui précède est que le plus sage pour l’Eglise, est d’accepter ce que la loi