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de gourdin, et lorsque l’Empereur, accompagné de l’Impératrice, parcourut les quais et les boulevards dans une voiture découverte à quatre chevaux, il fut reçu partout, avec respect, dans certains quartiers avec enthousiasme. Il dut se lever dans la voilure et saluer la foule, tandis que des larmes remplissaient les yeux de l’Impératrice. Quelques promenades encore de cuirassiers et de dragons suffirent à tout pacifier et l’on put se demander en paix quelle était la véritable portée des élections.

Matériellement, aucun doute n’était possible. Les candidats officiels ou agréables arrivaient en nombre prépondérant. Ni le tiers-parti, ni les constitutionnels, ni les Irréconciliables, eussent-ils réuni toutes leurs forces, ne pouvaient songer à les contrebalancer. Néanmoins, l’opposition chantait victoire. Aux majorités obtenues par ses élus, elle ajoutait les chiffres des diverses minorités, de ceux qui avaient succombé, et elle disait : « En 1857, nous avons eu de la peine à réunir 574 000 voix ; en 1863, nous n’avons pas dépassé 1 900 000 ; en 1869, nous dépassons 3 000 000, tandis que le gouvernement n’en a plus que 4 455 287 ; un léger effort encore, et nous arrivons à la parité, voire à la supériorité. » Et ils exultaient devant cette perspective d’avenir. Ils ne se trompaient pas en attribuant le caractère d’une espèce de révolution aux élections de 1869. Seulement ils jugeaient mal la révolution opérée. Quelque chose était irrévocablement mort ce jour-là, et ce n’était pas l’Empire comme ils le croyaient, mais l’empire autoritaire, l’empire dont Rouher était et restera la personnification. Les 3 200 000 voix de l’opposition signifiaient non l’amour de la république ou de l’orléanisme, mais le dépit causé par l’obstination de l’Empereur à se cramponner à un pouvoir personnel qui avait fait le Mexique et l’alliance italo-prussienne.

De leur côté, les journaux officieux prétendaient qu’aucun changement ne s’était opéré et que l’Empereur demeurait encore le maître absolu de sa politique puisque les mêmes membres de la majorité revenaient presque tous dans la Chambre : ils ne se rendaient pas compte que ces revenans n’y rapportaient plus les mêmes dispositions d’obéissance aveugle. N’oubliant pas que dans la dernière session les actes libéraux du 19 Janvier étaient venus les surprendre en pleine quiétude réactionnaire, ils étaient décidés à ne plus s’exposer à pareille déconvenue et à devancer plutôt les réformes pour en avoir le bénéfice. De telle sorte que l’Empire