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coûtait extrêmement cher à ceux qui y recouraient, mais ne rapportait sans doute pas, à ceux qui la rendaient, autant que de nos jours.

Les « épices » étaient évaluées à 80 millions de francs, au milieu du dix-huitième siècle, pour l’ensemble du royaume. En y joignant les 16 millions et demi de francs que le pouvoir central allouait à la magistrature, les traitemens payés aux juges villageois par les seigneurs propriétaires de fiefs, et les amendes, non versées au Trésor comme présentement, mais laissées à la disposition des tribunaux qui les infligeaient, on atteindra un total trois ou quatre fois supérieur aux 37 millions du budget actuel de notre ministère de la justice. Le gouvernement de jadis, qui avait encaissé le capital produit par la vente des charges, pouvait estimer que la justice ne lui coûtait rien. Mais elle coûtait fort cher aux intéressés : accusés ou plaideurs. Quant aux magistrats, même avec les « épices » qui doublaient ou triplaient leurs allocations fixes, ils se trouvaient, dans les sièges subalternes, moins payés que ceux de nos jours.

Les amendes étaient, suivant le terme légal et consacré, « arbitraires, » c’est-à-dire laissées à l’appréciation du juge. En vieux français, l’adjectif « arbitraire » ne se prenait pas en mauvaise part, non plus que les substantifs « arbitre » et « arbitrage » dans le français actuel. Si ce qualificatif a changé de sens, s’il est devenu péjoratif, nos anciennes « amendes arbitraires, » souvent mal arbitrées, y sont peut-être pour quelque chose. Qui les passerait en revue ne les trouverait pas toujours proportionnées au délit : ici l’amende est la même pour un adultère, — 45 fr., — que pour avoir fait travailler des bœufs le jour de la Pentecôte ; là où il en coûte seulement 18 fr. à des hôteliers coupables d’avoir vendu à faux poids, ils sont condamnés à 52 fr. pour avoir vendu de la viande pendant le carême. Ailleurs, l’amende était de 112 fr. pour qui introduisait dans la ville du vin « étranger, » provenant de districts voisins, au détriment du crû local ; elle n’était que de 24 fr. pour un larcin ordinaire.

Une profession peu rétribuée au moyen âge, dont les gages progressèrent aux temps modernes et bien plus encore de notre temps, est celle de bourreau. Il est vrai que les places ont diminué, puisqu’il n’y a plus qu’un seul « exécuteur des hautes œuvres » pour toute la République. Encore n’est-il pas surchargé de travail. Quel ne serait pas l’étonnement des bourreaux de jadis si, ouvrant le budget du ministère de la justice, ils constataient à