Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/672

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je commandais alors le 2e escadron des uhlans du général Sokol : Charles s’adressa à moi pour s’y engager. Je refusai positivement de l’accepter, sous prétexte qu’il était trop jeune et trop faible pour prendre les armes.

— Qu’importe la faiblesse des bras, me dit-il, lorsque la haine pour l’oppresseur dirige les coups qu’ils portent. J’ai la taille d’un enfant, lieutenant ; mais, pour aimer la Pologne, j’ai le cœur d’un homme et je me battrai comme tel.

Je restai inflexible. Sur ces entrefaites, le général, étant survenu, voulut savoir de quoi il s’agissait. Je le lui expliquai en deux mots. Après un instant de réflexion :

— Il faut le prendre, lieutenant, me dit-il ; je m’y connais en têtes, et celle-ci indique une indomptable énergie.

Charles fut donc admis dans mon escadron. Je lui procurai un petit poney et des armes appropriées à sa taille, et il se battait comme un lion dans toutes les rencontres.

Après le combat de Tiaskowa-Skala, nous retournions à notre campement. La nuit était si noire que nous avions dû faire allumer des torches de résine que des soldats portaient de distance en distance. En passant devant un sapin, le nouveau cheval que je montais faillit me désarçonner en se jetant brusquement de côté, et, comme je voyais une forme noire se balancer à une branche de l’arbre, j’appelai un soldat avec son flambeau. Cette forme, c’était mon pauvre chien, c’était César. Au tronc de l’arbre était attachée une pancarte portant cette inscription : « Nous pendons le chien en attendant que nous pendions le maître. » Je restai comme foudroyée. Almansour et César, mes deux amis, le même jour, peut-être à la même heure !

— Oh ! rien ne reste donc debout autour de moi, murmurai-je avec amertume, rien, pas même ces animaux qui m’aimaient !

— Si, lieutenant, il vous reste un compatriote, et, si vous le voulez, un ami.

Je me retournai, c’était le petit Charles qui, le regard plein de tristesse, les mains tendues, s’avançait vers moi. Je serrai la main de l’enfant.

— Charles, m’écriai-je, je les vengerai terriblement.

Et, sans attendre une réponse, je piquai des deux et m’éloignai rapidement de ce lieu funeste.

Quelques jours plus tard, nous allions nous joindre au gros de