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marins, fut reçu avec enthousiasme (3 octobre). Sans même descendre de cheval, il alla saluer la Junte. Prim, quelques jours après (7 octobre), le rejoignit. Son entrée se fit à grand fracas au milieu d’une véritable frénésie, sous une pluie de fleurs : quoiqu’en apparence au second rang, il restait, pour le peuple, au premier, comme l’incarnation de la Révolution. Les deux victorieux s’embrassèrent sur le balcon du ministère de l’Intérieur, et Prim, faisant un discours, s’écria à plusieurs reprises : A basso los Borbones ! Serrano fut nommé par la Junte généralissime ; Prim, capitaine-général, eut le portefeuille de la guerre ; Topete, la Marine ; Sagasta, l’Intérieur ; Lorenzana, les Affaires étrangères ; Figuerola, les Finances ; Zorilla, le Fomento, c’est-à-dire l’Instruction et les Travaux publics ; Ajala, les Colonies. Les progressistes dominaient ; les républicains n’avaient rien.

Les nouveaux ministres commencèrent par recevoir le premier châtiment des faiseurs de révolutions : celui d’être débordés par les appétits qu’ils ont déchaînés, et de se condamner eux-mêmes en désavouant les idées qu’ils ont professées, en réprimant les des ordres dont ils ont donné l’exemple, et qui, ne leur profitant plus, leur paraissent coupables. Tout alla bien tant qu’on ne s’occupa qu’à la curée, et on y procéda largement : officiers, soldats, depuis le caporal jusqu’au lieutenant-colonel, reçurent le grade supérieur ; le temps de service fut réduit à deux ans ; un emprunt de cent millions de piastres fut émis ; les biens des collèges, congrégations et autres établissemens religieux abolis, furent attribués à l’État ; on respecta seulement les Sœurs de Charité de Saint-Vincent-de-Paul et de Sainte-Isabelle, les Frères de la Doctrine chrétienne, qui se consacrent à l’enseignement et à la bienfaisance. Mais le peuple trouvait tout cela insuffisant : des juntes révolutionnaires s’établirent sur tout le territoire, détruisirent les impôts, les douanes, créèrent des dépenses nouvelles en abolissant les ressources ; la multitude se livra à des violences sur les choses et les personnes ; elle assomma à la Puerta del Sol le secrétaire de Gonzalès Bravo ; et le clergé, ayant refusé son concours à une cérémonie funèbre commémorative de sergens fusillés en 1866, des hommes armés envahirent la Nonciature et accablèrent d’injures et de menaces le Nonce, Mgr Franchi. Prim essaie courageusement d’arrêter ces excès. Il court à la Puerta del Sol, traite les assassins du pauvre secrétaire de canailles, de morceaux de bêtes indignes