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emplâtre : cette mouche espagnole tire parfaitement ! Je ne verrais pas d’inconvénient à ce que la république y fût proclamée, parce que, après l’élévation d’un prince d’Orléans sur le trône d’Espagne, ce serait ce qui pourrait le plus inquiéter Napoléon[1]. » Ainsi la solution qui eut le mieux convenu aux Prussiens eût été la république. Ils se fussent encore accommodés d’un d’Orléans, mais avec moins de plaisir, car, après tout, un d’Orléans resterait un Français. Ce qu’ils voulaient, c’est un homme à eux, un Allemand.

Cet Allemand existait : c’était le prince Léopold de Hohenzollern ; Bismarck préparait l’opinion à sa candidature en la faisant annoncer par sa presse officieuse.

Benedetti ne put pas ne pas entendre cette nouvelle répandue de tous côtés autour de lui. Il en comprend la gravité et en instruit d’urgence son gouvernement. Cette annonce produit aux Tuileries une émotion que n’avait pas causée la perspective d’une candidature Montpensier. On prescrit par télégraphe à Benedetti de s’informer. Bismarck étant absent, il interroge Thile : « Une pareille candidature intéressait trop directement le gouvernement de l’Empereur pour qu’il n’eût pas le devoir de la lui signaler dans le cas pu il existerait des raisons de croire qu’elle peut se réaliser. » Thile donne par deux fois sa parole d’honneur que « pendant son séjour à Berlin, le ministre d’Espagne n’a pas même fait allusion à cette candidature, et qu’il ne saurait être question du prince de Hohenzollern pour la couronne d’Espagne. » (31 mars 1869.)

Ces informations ne parurent pas suffisantes à Paris. On mande Benedetti, on l’interroge, on lui donne des instructions formelles. C’est l’Empereur lui-même qui le reçoit et lui dit : « La candidature Montpensier est seulement anti-dynastique ; elle n’atteint que moi, et je puis l’accepter ; celle du prince de Hohenzollern est essentiellement anti-nationale. Le pays ne la supportera pas, il faut la prévenir. Retournez à Berlin, expliquez-vous-en avec M. de Bismarck lui-même tout en vous gardant de donner à vos interrogations et à vos raisonnemens quoi que ce soit qui lui permette de croire que nous cherchons une occasion de conflit. » Ces instructions furent mollement exécutées. A l’interrogation craintive de notre ambassadeur, Bismarck répondit par une fin de non recevoir énigmatique : « Le prince Léopold, s’il était élu roi par les

  1. Bernhardi : Mémoires.