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réaction : elle rend définitive la rupture entre les libéraux et les radicaux que le commun désir des réformes avait rapprochés. Les menées sécessionistes en Pologne réveillèrent l’instinct patriotique. Le tirage de la Cloche, devenue ultra radicale sous l’influence de Bakounine et favorable aux Polonais, tombait de 2.500 exemplaires à 500 : Herzen désormais n’exercera plus aucune action. Les libéraux allèrent jusqu’à féliciter Mouravief de sa répression asiatique ; les plus marquans, Katkof et Aksakof déclarèrent qu’il fallait chercher le salut de la Russie non dans une Constitution, mais dans l’autorité patriarcale et orthodoxe. L’influence de ce nouveau courant de passions politiques se manifeste par la persécution de Tchernychevski. Son roman Que faire ? avait été, au début, approuvé par la censure. Le Sénat condamnait Tchernychevski à sept ans de travaux forcés. Il vécut exilé en Sibérie jusqu’en 1883.

Ces œuvres de répression ne détournèrent pas Alexandre II de sa grande entreprise de réformes. Par l’établissement des Zemstvos (Conseils généraux) dans trente-cinq gouvernemens, et des Conseils municipaux dans les villes, il dotait la Russie d’assemblées locales élues. La réorganisation de la justice consacrait l’inamovibilité des magistrats, introduisait le jury. La presse, soumise aux avertissemens, obtenait plus de latitude. Le service militaire rendu obligatoire était réduit à six ans, et encore abaissé selon le degré de culture.

Accomplies par décret, ces réformes ne furent cependant guère favorables à l’éducation politique de la nation. Elles suscitaient de nouvelles exigences. Affranchi d’un côté, on sentait plus vivement l’entrave de l’autre ; les bras étaient rendus libres, mais les pieds restaient enchaînés. Soustrait à tout contrôle, à tout moyen d’intimidation, le gouvernement, par l’arbitraire de sa police, l’omnipotence de sa bureaucratie, resserrait ou relâchait ces liens selon sa fantaisie.

Rien d’ailleurs ne pouvait satisfaire les impatiens, les irréconciliables. Un petit groupe se propose à Moscou d’assassiner le Tsar et de lui substituer son fils réputé ultra-libéral. L’attentat du paysan Karakozof, qui, en avril 1866, tire sur Alexandre II dans un jardin public, marque le point culminant des premières tentatives révolutionnaires. Elles s’achèvent, en 1869, par la conspiration avortée de Nelchaïef qui n’est, à vrai dire, qu’un épisode. Émissaire de Bakounine, Netchaïef, muni d’argent par