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auxiliaires, pour s’emparer du pouvoir après l’assassinat du Tsar, parmi les ouvriers des villes les mieux doués au point de vue révolutionnaire ; dans l’armée, de préférence parmi les officiers, plus intelligens que les soldats ; parmi les fonctionnaires ; et l’on considère enfin les libéraux comme des alliés éventuels.

Raconter ce mouvement terroriste, ce serait écrire le roman d’aventures et de caractères le plus fécond en péripéties. Les terroristes forment un monde étrangement mêlé de jeunes hommes et de jeunes femmes également pleins d’énergie et de courage, sortis des classes les plus opposées, entre lesquels l’amour joue parfois un rôle. Pourvus de faux passeports, ils n’ont plus d’état civil, plus de famille, plus de patrimoine, et ils côtoient chaque jour le bagne et la potence. Le plus expert dans la préparation des complots, Mikhaïlof, jeune homme de vingt-trois ans, discipline le parti à outrance. Il a le goût classique, il exige que les articles, les feuilles volantes, soient écrits en un style net et concis, et il recommande de même une tenue correcte. Lisogoub, un gentilhomme, sacrifie sa fortune pour la cause, et ne se trouve heureux que le jour où on l’exécute. Kibaltchich, fils de pope, chimiste et conseiller technique du parti, d’un naturel placide et taciturne, invente des bombes portatives. Jéliabof, fils d’un domestique serf, a le tempérament d’un agitateur, d’un tribun, d’un Camille Desmoulins, d’un Danton ; l’héroïne de la secte, Sophie Péroskaïa, de haute naissance, belle et cultivée, n’estimait et n’aimait que lui.

Trois fois les terroristes, à travers les difficultés et les dangers sans nombre, creusèrent des mines pour faire sauter le train impérial et dépensèrent, pour l’une de ces mines, 40.000 roubles. De même que les populistes, la Narodnaïa Volia comptait de riches et généreux adhérens : le comité exécutif recommandait de confisquer l’argent des caisses publiques, des bureaux de poste, des régimens. L’entreprise la plus extraordinaire fut l’explosion du palais d’hiver, menée à bonne fin, par le polisseur de meubles Khalturine, un des rares conjurés d’origine paysanne. Un retard sauva le tsar et sa famille ; il y eut dix soldats tués et cinquante-trois blessés et mutilés.

Ces attentats répétés discréditaient le gouvernement, ébranlaient le respect pour sa toute-puissance. Le nain masqué se moquait du géant aux cent bras : il fallait à tout prix vaincre le Comité exécutif. Les gouverneurs généraux, nouvellement créés,