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l’intendant Bigot à Bougainville, que vous ne ferez donner de chaussures qu’à ceux qui en auront grand besoin, » car les magasins du roi étaient presque vides. En août, des miliciens furent dirigés sur les champs des côtes, pour faire les moissons, battre et rentrer les grains ; on leur adjoignit des soldats, car il fallait aller vite ; de Montréal descendaient par le fleuve quelques barques chargées de provisions, que l’on arrêtait très loin en amont de Québec, pour les soustraire aux tentatives de l’ennemi. Cependant le bombardement continuait, incendiant chaque jour des maisons, et tuant quelques hommes ; des centaines d’édifices furent ainsi détruits, la plupart à l’est de la ville ; les artilleurs anglais tiraient à la cible sur Québec, par désœuvrement, dans l’intervalle des reprises d’un bombardement plus méthodique. Au camp de Beauport, sous la forte chaleur coupée de pluies torrentielles, les miliciens s’agaçaient, toutes les menues querelles s’exaspéraient dans cette inaction décevante, et les désertions furent nombreuses.

Du côté anglais, même spectacle : « C’est une guerre de la pire espèce, écrit le brigadier Townsend à sa femme ; je n’ai jamais servi dans une campagne aussi désagréable. » Les troupes, entassées à bord des bateaux, vivaient dans une gêne de tous les instans ; essayait-on de leur donner de l’air, par des promenades dans l’île d’Orléans, d’insaisissables ennemis, Canadiens ou sauvages alliés, les décimaient, enlevaient les isolés, scalpaient les blessés. Plus le temps passait, plus Wolfe se montrait renfrogné, capricieux ; ses brigadiers se plaignaient de n’avoir plus sa confiance, les hommes mêmes murmuraient et les désertions, ici non plus, ne furent pas rares. De temps en temps, on suspendait les hostilités ; des officiers de l’un et de l’autre parti échangeaient des visites, parfois des cadeaux ; Montcalm et Bougainville entretenaient une correspondance des plus courtoises avec les chefs ennemis, qui leur communiquaient les nouvelles arrivant d’Europe. Mais la mutuelle lassitude était telle que, de part et d’autre, les mauvais procédés étaient plus ordinaires. Montcalm dénonce à Amherst, chef nominal de Wolfe, l’incendie systématique de Québec par l’artillerie ; toutes les fermes de l’île d’Orléans, avaient été brûlées par les patrouilles anglaises et souvent des prisonniers massacrés de sang-froid ; Townsend s’apitoie, pensant à sa propre famille, sur le sort des femmes et des enfans qui sont ainsi les innocentes victimes de la guerre. Quant aux Canadiens, accompagnés de quelques