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de l’orateur donnait son avis, changeait, améliorait des passages. Plus tard, en pleine Révolution, au mois de décembre 1792, le ministre Roland disait très sérieusement, devant Mme Roland, à Barras stupéfait : « Vous pouvez parler : ma femme n’est point étrangère aux affaires de mon ministère[1]. » Après le 9 thermidor, la société, un instant dispersée, se rassembla de nouveau, et la puissance des femmes recommença à se faire sentir. Il s’agissait de réparer les maux de la Terreur, d’obtenir des hommes politiques la radiation de la liste des émigrés d’un parent, d’un ami. Les « femmes les plus gracieuses de l’ancien régime[2] » entouraient, flattaient ces rudes conventionnels. La Révolution avait confondu tous les rangs ; le raffinement monarchique tempérait l’âpreté républicaine. Suivant le mot d’un témoin Thibeaudeau, c’était partout, en 1795, un tourbillon de dîners et de soirées : » à la Chaumière du Cours-la-Reine, chez Mme Tallien, « Notre-Dame de Bon Secours, » saluée, adorée comme une divinité pour sa beauté et l’influence bienfaisante qu’elle exerçait sur son mari ; chez Mme Rovère, une ancienne femme d’émigré, qui avait épousé le conventionnel Rovère, devenu un farouche « réacteur ; » chez Julie Talma, la femme du tragédien, où se rassemblait « une coterie, chaque jour plus puissante[3], » le parti républicain modéré avec Sieyès, son véritable chef, Marie-Joseph Chénier, Louvet, Guyomard, Bailleul ; chez Mme Devaines, qui recevait d’anciens constituans, des conventionnels, des gens de lettres ; dans les « salons dorés » où l’ancienne noblesse exerçait une « influence immense[4], chez Mmes de Navailles, de Corvoisin, de Beauharnais, de Montesson, la princesse de Poix. Mais, de tous ces salons, le plus fréquenté, le plus célèbre c’était celui de Mme de Staël.

Son caractère distinctif était d’être ouvert à tous les partis. Chaque décadi se réunissaient rue du Bac, à l’ambassade de Suède, des sociétés fort différentes : en premier lieu, le corps diplomatique, assez réduit, les ambassadeurs bataves Van Grasveld et de Sitter, l’envoyé de Prusse Cervinus, le comte Carlelti, ministre plénipotentiaire de Toscane, Monroë, ministre plénipotentiaire des

  1. Barras, Mémoires, I, 84.
  2. Staël, Considérations, 3e partie, ch. XX.
  3. Mallet du Pan, Corr. inéd., I, 269. à la date du 2 août 1795.
  4. Thibeaudeau, Mémoires, I, 138.