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l’idée que ces mêmes conventionnels allaient se perpétuer au pouvoir. Sans réfléchir que les circonstances rendaient ce maintien nécessaire et qu’elle servait, en le combattant, les desseins de la contre-révolution, elle lança ses amis à l’attaque et, en particulier, Benjamin Constant.

Celui-ci brûlait de faire ses premières armes. Dès le jour de son arrivée à Paris, le 6 prairial, dans la candeur de sa foi républicaine, il datait son premier billet à la « citoyenne Nassau, » sa tante, de « l’an III de la République, une, indivisible et impérissable[1] ! » Persuadé que les républicains l’accueilleraient à bras ouverts, il avait couru chez Sieyès, muni d’une lettre de recommandation qu’Ælsner lui avait donnée à Berne ; Sieyès l’avait accueilli avec politesse, mais, depuis ce temps, le faisait surveiller[2]. Constant cherchait partout l’image de la liberté et ne la trouvait nulle part. Il avait beau écrire : « On veut l’ordre, la paix et la république, et on l’aura[3] ! » Le spectacle qu’offrait Paris, la contre-révolution s’étalant dans les cafés, les théâtres, les salons mondains, les sections, les journaux, donnaient à ses illusions un cruel démenti. Il était assidu aux séances de la Convention ; mais, au lieu de cette grande assemblée, dont l’énergie avait étonné le monde, il voyait avec stupeur des furieux qui s’invectivaient, des accusés pâles, couverts de sueur, se promenant d’un bout à l’autre de la tribune, sans pouvoir se faire entendre et dire une seule fois à ces « oppresseurs frénétiques déguisés en juges, » qu’ils n’avaient été jadis que les dociles exécuteurs de leurs sentences[4]. Au milieu de cette anarchie mortelle naissait la Constitution. Où était la liberté ? Nul ne paraissait s’en soucier, et les conventionnels semblaient plus préoccupés d’assurer leur sort que de fonder la république. Mme de Staël n’eut donc pas de peine à faire partager à Constant ses propres idées : il fallait que le peuple consulté exprimât librement ses suffrages ; et, répondant aux secrètes pensées de son ami, elle l’invita à prendre la plume et à combattre le projet de la Convention. Constant saisit l’occasion avec joie. Le 6, le 7 et le 8 messidor (24, 25, 26 juin) paraissaient dans le journal de Suard, les Nouvelles politiques, trois lettres, non signées,

  1. Lettres publiées par Mme Melegari, à la suite du Journal intime.
  2. Benjamin Constant, Revue de Paris, 1830 ; Coulmann, ouv. cité.
  3. Lettre du 6 prairial.
  4. Mémoires dans Coulmann, ouv. cité.