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mérites, et à M. Guesde qui les a, lui, toujours méconnus ! Ils en ont parlé l’un et l’autre avec dédain et pitié. — Ce n’est pas, ont-ils dit avec des demi-réformes qu’on rénovera une société qui doit disparaître tout entière. On leurre le peuple lorsqu’on lui fait croire que ces palliatifs guériront les maux dont il souffre. Le lendemain de ces prétendues réformes, sa situation sera à peine améliorée. N’importe, ont-ils continué, il faut les faire, ne fût-ce que pour prouver au prolétariat que tout cela est illusion et mensonge, et que la véritable panacée est ailleurs : elle est dans la réalisation intégrale de la conception socialiste. « Ce sera, a déclaré M. Guesde, la faillite du parti radical résultant du fait même que le parti radical n’aura pas fait faillite à son programme. » — Le parti socialiste aidera donc le parti radical à réaliser son programme, mais pourquoi ? pour le tuer et le remplacer. Aussi n’entend-il pas se confondre, fût-ce un seul jour, avec lui, mais tout au contraire veut-il s’en distinguer et s’en séparer. La majorité actuelle est une majorité bourgeoise, de même que le gouvernement actuel est un gouvernement bourgeois : aucune entente n’est possible avec eux. Nous voilà loin des compromis d’hier ! Ce n’est plus assez pour le parti socialiste de ne pas être représenté au gouvernement ; il ne veut même plus l’être dans la majorité. Vous serez isolé, lui dit-on ! Cet isolement lui apparaît splendide. Retiré sur une sorte de mont Aventin il y assistera en spectateur dédaigneux, en critique acerbe, en juge impitoyable, aux efforts du parti radical condamné d’avance à un lamentable échec. Il se défendra de tout contact qui pourrait altérer sa pureté immaculée ; et lorsque le peuple viendra, ce qui ne saurait tarder, lui demander le secret du paradis terrestre, il n’aura été diminué lui-même par aucun des abaissemens de l’opportunisme. Voilà ce qu’on a dit à Saint-Mandé, et c’est là, certes, une fière politique. Seulement elle est juste l’opposé de celle que M. Jaurès a conseillée et pratiquée autrefois. Mais nous l’exposons sans la juger : notre seul but est de montrer que l’entente entre radicaux et socialistes est actuellement impossible. M. Pelletan n’était pas au banquet de Saint-Mandé, où sans doute on avait négligé de l’inviter, et c’est dommage. Il s’y serait aperçu qu’il avait perdu son temps en prêchant aux radicaux l’union avec les socialistes. C’est à ces derniers qu’il aurait dû adresser ses pressantes objurgations. Ce sont eux, en effet, qui ont dénoncé l’union sur laquelle reposait le bloc de la dernière Chambre. Ils n’en veulent plus ; ils l’ont rompue. M. Pelletan en est inconsolable ; mais il n’y peut pas plus que nous, qui d’ailleurs nous en consolons.