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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/12

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sortant de son cabinet que dans la mesure nécessaire pour se mêler aux cérémonies et aux rares divertissemens de la Cour. Sans doute l’épreuve l’avait mûri ; il ne se livrait plus à ces amusemens puérils, à ces jeux de séminariste que lui reprochait Saint-Simon, et le temps qu’il passait dans son cabinet était surtout consacré par lui à des exercices scientifiques, à des recherches historiques et aussi à des entretiens, plus longs qu’il n’était nécessaire, avec son confesseur, le Père Martineau. Quand il en sortait, il prenait peu de part aux conversations, et les épisodes de la dernière chasse à courre faisaient généralement les frais de l’entretien. C’est qu’il était gêné par un double sentiment, d’abord par un scrupule d’austérité et de charité qui l’empêchait de prendre sa part d’un échange de propos, tantôt légers, tantôt médisans, comme étaient, comme sont en tout temps les propos de cour et de monde ; ensuite et surtout parce qu’il craignait, en s’exprimant avec trop de liberté sur les événemens et sur les hommes, de laisser apercevoir le fond de sa pensée et le jugement peu favorable qu’il portait sur certaines mesures adoptées par le Roi.

Le Duc de Bourgogne avait, ainsi que nous le verrons, une vue très juste des périls que des désordres anciens, aggravés par les fautes et les malheurs d’un long règne, faisaient courir à la vieille institution monarchique. Mais il se serait fait scrupule de laisser apercevoir ces craintes, et toute appréciation trop libre lui aurait paru un manque à ses devoirs de petit-fils respectueux, sans parler de la disgrâce qu’auraient pu, par sa faute, encourir ceux qui lui étaient chers. Suivant toutes les probabilités humaines, de longues années devaient encore s’écouler avant qu’aucune responsabilité, aucune autorité lui incombât. Il se sentait guetté par la cabale de Meudon, qui n’aurait pas manqué de tourner contre lui la moindre parole imprudente ; il était intimidé par la malveillance, à peine déguisée, de son propre père qui lui témoignait une froideur, rendue plus blessante encore par une préférence évidente en faveur du Duc de Berry ; enfin il était contenu par un respect superstitieux pour son grand-père contre lequel il aurait cru pécher, s’il s’était permis un jugement sévère, même intérieur. Sa situation était donc difficile, presque dangereuse à certains points de vue, et comme il n’avait ni l’esprit, ni la bonne grâce, ni la souplesse de la Duchesse de Bourgogne, il croyait échapper à ces difficultés et à ces dangers par la retraite et le silence.