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plumer la chasse, Moscardino « s’occupa de faire ce qui lui avait été ordonné. » L’heure venue, Codronchi arrive et l’on fait honneur au festin. A la fin du dîner, le châtelain se lève. D’un bond Codronchi aussi se lève, saisit le châtelain à mi-corps, le tient embrassé. Aussitôt un esclave[1] dudit châtelain prend un poignard, et par deux fois l’en frappe au ventre. Moscardino s’en mêle, pour aller plus vite, et Codronchi achève d’un coup de cimeterre l’impénitent Melchiorre. Cela fait, il court s’enfermer dans la tour et hausse les ponts-levis. Cependant, à Imola, le comte et la comtesse en sont instruits : Girolamo est malade encore et Catherine est sur le point d’accoucher, — gravida e grossa a la gola, dit le chroniqueur avec un pittoresque intraduisible. De nouveau, elle monte à cheval, pousse et pique tant qu’elle peut, et vers minuit entre à Forli. Elle traverse la ville sans rien demander à personne, va droit au pied de la rocca, et appelle Nocente.

« Alors Nocente se mit aux créneaux et vit Madame la comtesse et dit : « O madame, et que voulez-vous ? » Madame répondit : « O Nocente, et pour qui tiens-tu cette rocca ? » Nocente répondit : « Au lieu du seigneur Octaviano[2]. » Messer Dominico Riccio[3] dit : « Donc Octaviano est seigneur, et non le comte ? — Ou vif ou mort, je tiens cette rocca au lieu du comte et de ses fils. » Là-dessus, Catherine demande à Codronchi pourquoi il a tué le châtelain : « Madame, il faut donner les rocche à des gens qui aient de la cervelle, et ne pas les donner à des ivrognes. » C’est le moment. La comtesse conjure Nocente de lui restituer la rocca. Et il lui crie, comme saisi de pitié, d’une voix radoucie et respectueuse : « Très chère madame, pour cette fois, je ne puis vous répondre autrement. O madame, allez vous reposer et ne craignez rien. Il n’était pas besoin que Votre Seigneurie vînt ici pour cela. Je vous prie de venir demain dîner avec nous. » Catherine retourne en ville, va au palais, fait monter la garde autour de la rocca afin que personne n’y entre. Après quoi, dans le dessein affiché d’éviter le poison, elle commande le repas qu’on lui devra porter à la rocca, pourvoit à tout, et ne se couche

  1. « Probablement un jeune Turc, qui, fait prisonnier en mer, avait été retenu comme esclave. Tel fut le sort de beaucoup d’infidèles fait captifs à la guerre pendant tout le XVe siècle. » Pasolini, ouv. cité, I, 183.
  2. Ottaviano Riario, fils aîné de Girolamo et de Catherine.
  3. Domenico Ricci, cousin du comte Girolamo, et gouverneur de la ville de Forli.