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elle punira seulement les coupables ; mais si l’on touche à ses enfans, elle réduira en cendres et en poussière toute la ville. Puis elle charge ses bombardes d’épieux dont la pointe est enveloppée de papiers où il est écrit : « Forliviens, mes Forliviens, sus à mes ennemis, tuez-les tous ! Je vous promets qu’au retour, je vous tiendrai toujours pour bons frères. Faites vite, ne craignez rien. L’armée milanaise est aux portes ; sous peu, vous aurez la récompense, et eux le châtiment bien mérité. »

L’armée milanaise, en effet, hâtait sa marche. Déjà Bentivoglio de Bologne occupait les villages voisins. Cinquante cavaliers, envoyés par un des cardinaux parens de la comtesse, étaient venus renforcer la rocca. Les secours pontificaux que Mgr Savelli attendait dans les transes et promettait au besoin par de faux brefs[1], comme pour se rassurer lui-même, n’apparaissaient pas. Voyant venir l’expiation, les meurtriers du comte, qui depuis un mois se posaient en libérateurs, les Orsi, les Ronchi, les Pansechi, avec leurs familles et leurs partisans, prennent la fuite : c’est vers Cervia, où les Vénitiens ne veulent pas les recevoir, et vers Città di Castello, un misérable exode de dix-sept personnes. Et c’est la restauration des Riari, d’Ottaviano et de sa mère, régnant et gouvernant en son nom, en son lieu.


III

La conduite de Catherine, reprenant possession de Forli, est pleinement machiavélique, c’est-à-dire que tous les élémens y sont de la politique dont, une vingtaine d’années plus tard, Machiavel donnera la formule. Premièrement, la modération ou l’apparence de la modération dans la victoire. La comtesse empêche le sac de la ville, auquel rêvent, depuis des jours et des jours, les Milanais. Et peut-être le fait-elle autant pour elle-même qui y perdrait ce qu’une insurrection pillarde lui a laissé que pour ses sujets qu’elle veut ménager, pour « les femmes et les filles » dont, avec une pudeur justement alarmée, elle prend l’honneur en sa garde. Ensuite, l’apparence d’une stricte, mais équitable justice ; les coupables seront punis, mais les coupables seuls, et c’est à peine si, voulant atteindre un ennemi,

  1. Pasolini, ouv. cité, I, 251.