Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bourgogne, la faveur et la confiance que, dès le lendemain de la mort de Monseigneur, lui témoigna le Roi durent en effet le redresser. Entre autres marques de cette faveur, on remarqua fort la nomination du duc de Charost comme capitaine des gardes du corps, en remplacement du maréchal de Boufflers qui venait de mourir. Le choix était en effet significatif. La mère de Charost, la duchesse de Béthune, fille de Fouquet, avait été une des pénitentes de Fénelon et n’avait jamais cessé d’appartenir au petit troupeau, Charost y tenait également, par son intimité avec Chevreuse et Beauvilliers, et s’il avait, au dire de Saint-Simon, « une probité exacte, beaucoup d’honneur et tout ce qu’il y pouvoit ajouter de vertu à force de bras, » cette vertu était « rehaussée de tout l’abandon à M. de Cambrai qui se pouvoit espérer du fils de la disciple mère[1]. » Louis XIV n’ignorait rien de tout cela et devait, par-dessus le marché, se sentir médiocrement disposé pour le petit-fils de l’homme qu’il avait si cruellement puni. Mais ces considérations, loin d’arrêter son choix, le fixèrent. « Il vous servira plus longtemps que moi, dit-il au Duc de Bourgogne. Il est juste de vous donner un homme à, votre gré, » et cette nomination inattendue causa beaucoup d’étonnement à la Cour, « qui en conçut un grand respect pour M. le Dauphin et pour son crédit[2]. »

Le Duc de Bourgogne essaya-t-il de faire usage de ce crédit en faveur de quelqu’un qui lui tenait autrement au cœur que Charost ou même Beauvilliers ? Fit-il quelque tentative pour mettre un terme à la disgrâce de Fénelon ? Saint-Simon n’en dit rien, mais Mme Dunoyer l’affirme : « Ce prince, écrit-elle, a donné encore une marque de son bon cœur et de la justesse de son discernement dans la tentative qu’il a faite pour rappeler l’archevêque de Cambrai d’un injuste exil. On avoit cru même qu’il y avoit réussi, et nous espérions de revoir ici cet illustre prélat, mais il faut croire qu’il est un temps pour toute chose et que celui-là n’est pas encore venu[3]. » Mme Dunoyer n’était pas en position d’être très bien informée, mais pour qu’elle ait rapporté ce bruit dans ses lettres, il faut qu’il en ait couru, et ce bruit était trop à l’honneur du Duc de Bourgogne pour que nous n’ayons pas cru devoir le rapporter.

  1. Saint-Simon. Édition de Chéruel de 1856, tome IX, p. 294.
  2. Saint-Simon. Addition au journal de Dangeau, t. XIII, p. 473.
  3. Lettres historiques et galantes, t. III, p. 260.