Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’intervention de 1882 motivée par le danger que courait du côté de l’Ouest le canal de Suez, se montrât indifférente, vingt-cinq ans après, à des dangers analogues se présentant du côté de l’Est. »

Depuis l’époque où le gouvernement de lord Palmerston traçait, autour de l’Egypte de Mehemet-Ali, le cercle de Popilius d’où il ne lui serait pas permis de sortir, l’importance de l’isthme de Suez et de la presqu’île du Sinaï s’est considérablement accrue ; ces régions stériles et abandonnées sont devenues, dans la lutte politique et économique universelle, un point stratégique dont les grandes puissances se disputent âprement la possession. Garantir les approches du canal contre toute tentative d’obstruction ou d’accaparement est devenu la préoccupation dominante des maîtres, quels qu’ils soient, de la vallée du Nil. L’Angleterre a occupé l’Egypte et substitué sa politique active, son esprit d’initiative et son besoin d’expansion à l’inertie et au désordre où les successeurs de Mehemet-Ali avaient laissé déchoir leur pays ; devenue maîtresse au Caire et à Alexandrie, elle attache d’autant plus de prix à tenir sous son autorité et sous son contrôle les abords du canal que des traités internationaux garantissent la neutralité du canal lui-même ; si, en cas de guerre, l’Angleterre avait scrupule à mettre la main sur le passage, elle pourrait en tout cas en bloquer les issues à la distance requise par les conventions : la domination de la Mer-Rouge rentre donc dans le programme de sa politique impériale. Au moment où, sur la côte occidentale, elle créait Port-Soudan pour servir de débouché à tout le bassin moyen du Nil, il ne pouvait convenir à la Grande-Bretagne que la Turquie fît acte d’autorité sur la côte orientale, sur le flanc de cette route de l’Inde que l’Angleterre surveille comme l’instrument indispensable de son omnipotence maritime et comme le signe visible de son hégémonie universelle. Le péril d’invasion, pour l’Egypte, est toujours venu de l’Orient, de Syrie ou d’Arabie ; l’Angleterre le sait ; attentive à deviner les dangers dont l’avenir pourrait menacer la vallée du Nil, elle monte une garde vigilante sur les bastions qui flanquent vers l’Est l’Egypte et le canal de Suez. Nous aurons à expliquer quels mouvemens ostensibles et quelles sourdes agitations du monde arabe, prélude de profonds bouleversemens, incitent, particulièrement à l’heure actuelle, le cabinet de Londres à redoubler de vigilance et à surveiller les frontières du côté de la Syrie et de l’Arabie.