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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/18

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lesquels Saint-Simon épanche sa bile, et qu’il appelle ailleurs « les marteaux de l’Etat » aient éprouvé les sentimens qu’il leur prête. Le Duc de Bourgogne était devenu le prince dont leur sort, d’un jour à l’autre, pouvait dépendre, qui les maintiendrait au pouvoir ou les précipiterait dans la disgrâce. L’approcher de plus près, avoir occasion de lui faire apprécier leurs mérites, capter à l’avance sa faveur était donc de leur intérêt, et rien ne fait supposer qu’ils ne l’aient pas parfaitement compris. D’ailleurs le Duc de Bourgogne, avec sa honte réelle, prit soin de leur faciliter le travail avec lui[1]. « Il les reçut, dit encore Saint-Simon, avec un air de bonté et de commisération ; il entra avec eux dans le détail de leurs journées pour leur donner les heures les moins incommodes à la nécessité du travail et de l’expédition, et, pour cette première soumission, n’entra pas avec eux en affaires mais ne différa pas de commencer à travailler chez lui avec eux. »

Torcy, Voisin, Desmaretz, furent les seuls avec lesquels le Duc de Bourgogne eut de fréquens entretiens, mais surtout Desmaretz. C’était en effet l’état des finances dont il se préoccupait le plus, avec juste raison. C’était aussi le ministre avec lequel le public se réjouissait le plus de le voir travailler. « Monsieur le Dauphin va s’appliquer, dit-on, à régler les finances, écrivait Mme Dunoyer. Du moins on le voit toujours enfermé avec M. Desmaretz qui en est le ministre[2] ; » et, dans une autre lettre : « Notre Dauphin, est enfermé tous les jours avec M. Desmaretz pour tâcher de mettre les finances sur un pied qu’on puisse tous les mois être éclairci de la dépense et de la recette, moyen très sûr pour n’être point trompé[3]. »

En s’appliquant ainsi aux affaires, le Duc de Bourgogne ne faisait que suivre sa pente. Depuis plusieurs années, il y prenait une part plus active que le public ne le savait par son assiduité aux Conseils, et comme sa participation à leurs délibérations n’avait rien qui pût porter ombrage au Roi son grand-père, il ne se faisait point faute d’y prendre la parole dans un sens toujours judicieux et modéré. Avant de pousser plus avant et d’en arriver à ce que Saint-Simon appelle son avant-règne, nous le voudrions montrer dans ce rôle de conseiller du trône.

  1. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1856, tome IX, p. 306.
  2. Lettres historiques et galantes, t. III, p. 188.
  3. Ibid., p. 260.