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conflits de famille, il décida la formation d’un tribunal spécial devant lequel le procès serait porté. Ce tribunal devait être composé du Conseil des Dépêches, du Conseil des Finances et du bureau du Conseil des Parties qui était chargé, au préalable, d’instruire l’affaire et de choisir un maître des requêtes pour en faire rapport : ce bureau était présidé par Daguesseau père.

L’instruction fut assez lente et conduite avec quelque partialité en faveur de Mme de Soubise qui déployait de plus en plus d’ardeur et devenait ainsi partie principale au procès. L’affaire ne vint en état qu’en août 1704. Le Roi fixa un jour pour le procès qui devait se juger sur mémoires des parties et sur rapport du maître des requêtes, mais sans plaidoiries d’avocat. On ne plaidait point devant le Roi. La veille, 25 août, la famille de Rohan attendit le Roi au sortir de la messe pour lui remettre en mains propres un nouveau mémoire. Le coadjuteur de Strasbourg, que Saint-Simon appelle à cette occasion « le fils de la Fortune et de l’Amour, » se promenait dans la galerie, avec l’air d’un homme sûr de son fait et disant qu’on ne devait pas être surpris « si ceux de sa maison, si fort relevés par leur naissance au-dessus de la noblesse du royaume, étoient jaloux de leur nom et le souffroient impatiemment à d’autres, » ce qui lui valut, de la part du marquis d’Ambres, cette verte réplique : « Cela s’appelle soutenir une mauvaise cause par des propos encore plus odieux. » Les esprits se montaient, comme on voit, et il était temps d’en finir ; mais, connaissant la faveur dont la princesse de Soubise jouissait auprès du Roi, ce jour-là peu de personnes doutaient que l’arrêt ne fût rendu en sa faveur.

Le lendemain 26, le Roi avança l’heure de son dîner, qui était habituellement une heure, pour donner plus de temps à ouïr la cause. Il ne dérogeait ainsi à ses habitudes que dans les circonstances graves. Les juges se réunirent immédiatement après le dîner. Un instant avant que l’audience ne commençât, le Roi demanda tout bas à Chamillart pour qui il serait : « Pour Mme de Soubise, » répondit à l’oreille le ministre courtisan. Dès que tous les juges furent en place, le Roi prit la parole : « Messieurs, dit-il, je dois la justice à tout le monde ; je veux la rendre exactement dans l’affaire que je vais juger. Je serois bien fâché d’y commettre aucune injustice, mais pour de grâce je n’en dois à personne, et je vous avertis que je n’en veux faire aucune au duc de Rohan. » Après ce début, qui faisait mal augurer de