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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/245

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pas être ce que prépare M. Clemenceau. M. Waldeck-Rousseau a dit dans un de ses bons jours que le droit d’un seul ouvrier qui veut travailler est égal à celui de tous les autres qui ne le veulent pas, et doit être aussi efficacement protégé. M. Clemenceau a encore renforcé l’expression de cette vérité, en faisant remarquer que les grévistes aspiraient au mieux-être, tandis que l’ouvrier père de famille qui préfère le travail à la grève aspire à être. Comment, après cela, pourrait-il annihiler dans le contrat de travail la liberté de cet ouvrier qui se contente d’être comme il est ? Et s’il ne porte aucune atteinte à sa liberté, que devient le contrat — collectif — de travail ? Cruelle énigme ! Mais attendons les projets de M. Clemenceau et de M. Deschanel.

Le succès de M. Clemenceau, à gauche, au centre et jusqu’aux confins de la droite, ne saurait nous faire oublier que, parlant comme ministre, il a sur plus d’un point dépassé le programme ministériel. M. Sarrien, quand il a pris la parole, a jeté des ombres grisâtres sur tout cela, mais ne l’a pas fait disparaître, ni oublier. M. Clemenceau s’est déclaré partisan du rachat de « certaines » compagnies de chemin de fer : le gouvernement avait eu soin de n’en rien dire dans sa déclaration, et cette abstention avait été remarquée. On a pu mesurer bientôt le degré de la fermeté ministérielle. M. Sarrien, dans son langage neutre, effacé, conciliant, a codé en partie à M. Clemenceau dont l’impétuosité l’a emporté en ouragan plus loin qu’il n’avait voulu aller d’abord : il a annoncé que le gouvernement étudierait la question du rachat d’une compagnie. En sera-t-il de même de l’impôt sur le revenu ? Le gouvernement s’est bien gardé de dire que cet impôt serait progressif, il a même dit le contraire. M. Clemenceau, lui, s’est prononcé nettement pour la progression. Cette fois encore, entraînera-t-il le ministère ? Enfin, répondant à M. Jaurès qui lui demandait où était son programme : « Mon programme, a-t-il dit, vous le connaissez bien, il est dans votre poche, vous me l’avez pris. » On voit que ces doux grands jouteurs, en dépit des coups d’estoc et de taille qu’ils se sont portés devant la galerie, ne sont pas incapables de se réconcilier tranquillement dans la coulisse. A la fin de cette discussion dont le ministère est sorti intact, le programme ministériel, déjà si vague, s’est trouvé plus vague encore. Et ce n’est pas M. Briand qui l’a précisé depuis ! M. Briand, quelques jours plus tard, est allé prononcer à Roanne un discours où, exprimant la crainte que la majorité ne fût trop forte et ne contînt quelques élémens inquiétans, il a recommandé la reconstitution du vieux bloc. Les élémens inquiétans sont au centre : une partie du centre a voté pour le gouvernement.